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Les trois belles couleurs, ces trois couleurs joyeuses
Que, jeune, il promena partout victorieuses,
Ne les aurait-il plus chaque jour sous les yeux ?
« Allons donc, criait-il, les bluets et les cieux
Toujours bleus, les maisons, les routes toujours blanches,
Les tuiles de nos toits et les fleurs de nos branches
Toujours rouges, ainsi que le sang sous la peau,
Nous font, malgré Guillaume, un immense drapeau ! »

Dès lors, quand revenait la saison printanière,
Des trois couleurs le vieux ornait sa boutonnière ;
L’appui de sa fenêtre et le petit jardin
Où l’on pouvait le voir trottiner le matin,
Fumant sa pipe, avec son bonnet sur l’oreille,
Avaient chacun sa fleur, blanche, bleue et vermeille :
Cette douce manie, où sombrait sa raison,
Lui faisait oublier le grand Napoléon.

Mais il était heureux, car les gens du village
Allaient à son jardin comme en pèlerinage :
Ce coin plein de soleil, où l’on pouvait venir
Pleurer sur le Passé, rêver à l’Avenir
Et même discuter la Revanche à son aise,
Leur semblait un morceau de la terre française…
Et, lorsqu’ils s’en allaient, consolés et contents,
Ils avaient l’espérance au cœur… pour quelque temps !

Le vieillard en devint plus populaire encore :
Les moutards l’appelaient « le papa Tricolore »
Et se battaient à qui lui donnerait la main :
(On croyait voir Hier jouer avec Demain !)
Il aimait les enfants avec idolâtrie,
Leur donnait une image ou quelque gâterie,