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LA LÉGENDE DU ROUET




Au moment de la veillée,
Une vieille de cent ans
Qui filait sa quenouillée
Nous a dit : « Mes chers enfants,
« Tout grands garçons que vous êtes,
« J’ai fait vos premiers habits :
« J’ai filé les chemisettes
« De tous les gâs du pays.

« Ma joue, autrefois rosée,
« Sous la chandelle a pâli
« Pour que la jeune Épousée
« Ait des draps fins dans son lit ;
« Sans aller dans les églises,
« Chez moi je priais tout bas
« Tout en filant des chemises
« Pour ceux qui n’en avaient pas.

« Si je filai les dimanches,
« Dieu n’en sera pas fâché,
« Car j’ai fait des nappes blanches
« Pour la Cure et l’Évêché…
« …Mais, comme à la Mort je glisse,
« Que bientôt l’Ankou viendra,
« Pour que l’on m’ensevelisse
« Je m’en vas filer mon drap ! … »