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pour multiplier ses aumônes, et pour soulager plus abondamment les familles réfugiées de ses trois royaumes et tous ceux qui avaient été ruinés pour la cause de la religion ou pour le service du roi. Rappelez en votre mémoire avec quelle circonspection elle ménageait le prochain, et combien elle avait d’aversion pour les discours empoisonnés de la médisance. Elle savait de quel poids est non seulement la moindre parole, mais le silence même des princes, et combien la médisance se donne d’empire, quand elle a osé seulement paraître en leur auguste présence. Ceux qui la voyaient attentive à peser toutes ses paroles jugeaient bien qu’elle était sans cesse sous la vue de Dieu et que, fidèle imitatrice de l’institut de Sainte-Marie, jamais elle ne perdait la sainte présence de la majesté divine. Aussi rappelait-elle souvent ce précieux souvenir par l’oraison, et par la lecture du livre de l’Imitation de Jésus, où elle apprenait à se conformer au véritable modèle des chrétiens. Elle veillait sans relâche sur sa conscience. Après tant de maux et tant de traverses, elle ne connut plus d’autres ennemis que ses péchés. Aucun ne lui sembla léger : elle en faisait un rigoureux examen ; et soigneuse de les expier par la pénitence et par les aumônes, elle était si bien préparée que la mort n’a pu la surprendre, encore qu’elle soit venue sous l’apparence du sommeil. Elle est morte, cette grande reine ; et par sa mort elle a laissé un regret éternel, non seulement à Monsieur et à Madame, qui, fidèles à tous leurs devoirs, ont eu pour elle des respects si soumis, si sincères, si persévérants, mais encore à tous ceux qui ont eu l’honneur de la servir ou de la connaître. Ne plaignons plus ses disgrâces, qui font maintenant sa félicité. Si elle avait été plus fortunée, son histoire serait plus pompeuse, mais ses œuvres seraient moins pleines, et avec des titres superbes elle aurait peut-être paru vide devant Dieu. Maintenant qu’elle a préféré la croix au trône, et qu’elle a mis ses malheurs au nombre des plus grandes grâces, elle recevra les consolations qui sont promises à ceux qui pleurent. Puisse donc ce Dieu de miséricorde accepter ses afflictions en sacrifice agréable ! Puisse-t-il la placer au sein d’Abraham et, content de ses maux, épargner désormais à sa famille et au monde de si terribles leçons !