Page:Bossuet - Textes choisis et commentés par H. Brémond, tome 1 - 1913.djvu/302

Cette page n’a pas encore été corrigée

moyen de prendre la multitude par l’appât de la liberté, elle suit en aveugle, pourvu qu’elle en entende seulement le nom. Ceux-ci, occupés du premier objet qui les avait transportés, allaient toujours, sans regarder qu’ils allaient à la servitude, et leur subtil conducteur qui, en combattant, en dogmatisant, en mêlant mille personnages divers, en faisant le docteur et le prophète, aussi bien que le soldat et le capitaine, vit qu’il avait tellement enchanté le monde qu’il était regardé de toute l’armée comme un chef envoyé de Dieu pour la protection de l’indépendance, commença à s’apercevoir qu’il pouvait encore les pousser plus loin. Je ne vous raconterai pas la suite trop fortunée de ses entreprises, ni ses fameuses victoires dont la vertu était indignée, ni cette longue tranquillité qui a étonné l’univers. C’était le conseil de Dieu d’instruire les rois à ne point quitter son Eglise. Il voulait découvrir par un grand exemple tout ce que peut l’hérésie, combien elle est naturellement indocile et indépendante, combien fatale à la royauté et à toute autorité légitime. Au reste, quand ce grand Dieu a choisi quelqu’un pour être l’instrument de ses desseins, rien n’en arrête le cours ; ou il enchaîne, ou il aveugle, ou il dompte tout ce qui est capable de résistance. Je suis le Seigneur, dit-il par la bouche de Jérémie ; c’est moi qui ai fait la terre avec les hommes et les animaux et je la mets entre les mains de qui il me plaît. Et maintenant j’ai voulu soumettre ces terres à Nabuchodonosor, roi de Babylone, mon serviteur. Il l’appelle son serviteur, quoiqu’infidèle, à cause qu’il l’a nommé pour exécuter ses décrets. Et j’ordonne, poursuit-il, que tout lui soit soumis, jusqu’aux animaux : tant il est vrai que tout ploie et que tout est souple quand Dieu le commande ! Mais écoutez la suite de la prophétie : je veux que ces peuples lui obéissent, et qu’ils obéissent encore à son fils, jusqu’à ce que le temps des uns et des autres vienne. Voyez, Chrétiens, comme les temps sont marqués, comme les générations sont comptées : Dieu détermine jusques à quand doit durer l’assoupissement, et quand aussi se doit réveiller le monde.

Tel a été le sort de l’Angleterre. Mais que dans cette effroyable confusion de toutes choses il est beau de considérer ce que la grande Henriette a entrepris pour le salut de ce royaume, ses voyages, ses négociations, ses traités, tout ce que sa prudence et son courage opposaient à la fortune de l’Etat, et enfin sa constance par laquelle, n’ayant pu vaincre la violence de la destinée, elle en a si noblement soutenu l’effort ! Tous les jours