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Augustin, est une faible imitation de l’éternité. Celle-ci est toujours la même : ce que le temps ne peut égaler par sa consistance, il tâche de l’imiter par la succession. S’il nous dérobe un jour, il en rend subtilement un autre semblable, qui nous empêche de regretter celui que nous venons de perdre. C’est ainsi que le temps nous joue et nous cache sa rapidité. C’est aussi peut-être en cela que consiste cette malice du temps dont l’apôtre nous avertit par ces mots : « Rachetez le temps, dit-il, parce que les jours sont mauvais », c’est-à-dire, trompeurs et malicieux. En effet, le temps nous trompe toujours ; parce qu’encore qu’il varie sans cesse, il montre presque toujours un même visage, et que l’année qui est écoulée semble ressusciter dans la suivante. Toutefois une longue suite nous découvre toute l’imposture. Les rides sur notre front, les cheveux gris, les infirmités ne nous font que trop remarquer quelle grande partie de notre être est déjà abîmée et engloutie. Mais dans de si grands changements le temps affecte toujours quelque imitation de l’éternité : car, comme c’est le propre de l’éternité de conserver les choses dans le même état, le temps, pour en approcher, ne nous dépouille que peu à peu, et nous mène aux extrémités opposées par une pente si douce et tellement insensible, que nous nous trouvons engagés au milieu des ombres de la mort, avant que d’avoir songé comme il faut à notre conversion. Ézéchias ne sent point écouler son âge, et dans la quarantième de ses années il croit qu’il ne fait que naître : Dum adhuc ordirer, succidit, me : « Il a coupé la trame de mes jours que je ne faisais que commencer. » Ainsi la malignité trompeuse du temps fait que nous tombons tout à coup, et sans y penser, entre les mains de la mort. Pour nous garantir de cette surprise, Jésus-Christ ne nous a laissé qu’un seul moyen dans la parabole de l’Évangile, c’est celui d’être toujours attentifs et vigilants : « Veillez, dit-il, sans cesse, parce que vous ne savez à quelle heure viendra le Seigneur. »

Ici l’on ne peut s’étonner assez de l’aveuglement des hommes, qui ne sont pas moins audacieux que le fut autrefois l’apôtre saint Pierre, lorsqu’il osa démentir la Vérité même. On ne lit point sans étonnement la témérité de ce disciple qui, lorsque Jésus-Christ lui dit nettement qu’il le reniera trois fois, ose lui répondre en face : « Non, je ne vous renierai pas. » Mais cessons de nous étonner de son audace qu’il a expiée par tant de larmes : étonnons-nous de nous-mêmes et de notre témérité insensée. Jésus-Christ nous a dit à tous en paroles claires ; Si vous