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verte ; mais, assuré de lui-même et de sa propre puissance, il est bien aise de voir jusqu’où iront les téméraires complots de ses sujets infidèles, et ne précipite pas sa juste vengeance, jusqu’à ce qu’ils soient parvenus au terme fatal où il a résolu de les arrêter : ainsi, et à plus forte raison, ce Dieu tout-puissant, qui du centre de son éternité développe tout l’ordre des siècles, sage dispensateur des temps devant l’origine des choses, n’a rien à précipiter. Ceux-là se hâtent et se précipitent, dont les conseils sont dominés par la rapidité des occasions et par la fortune. Il n’en est pas ainsi du Tout-Puissant. Les pécheurs sont sous ses yeux et sous sa main. Il sait le temps qu’il leur a donné pour se repentir, et celui où il les attend pour les confondre. Cependant qu’ils mêlent le ciel et la terre pour se cacher dans la confusion de toutes choses ; que ces femmes infidèles et ces hommes corrompus et corrupteurs se couvrent eux-mêmes, s’ils peuvent, de toutes les ombres de la nuit ; que ceux qui s’entendent si bien pour conspirer à leur perte enveloppent leurs intelligences déshonnêtes dans l’obscurité d’une intrigue impénétrable : ils seront découverts au jour arrêté ; leur cause sera portée devant le tribunal de Jésus-Christ, où leur conviction ne poura être éludée par aucune excuse, ni leur peine retardée par aucunes plaintes.

Mais j’ai à vous découvrir de plus profondes vérités. Je ne prétends pas seulement faire appréhender aux pécheurs les rigueurs du jugement dernier, ni les supplices insupportables du siècle à venir. De peur que le repos où ils sont dans la vie présente ne serve à nourrir en leur cœur aveugle et impénitent l’espérance de l’impunité, le Saint-Esprit nous enseigne que leur repos même est une peine. Pécheurs, soyez ici attentifs. Voici une nouvelle manière de se venger, qui n’appartient qu’à Dieu seul ; c’est de laisser ses ennemis en repos, et de les punir davantage par leur endurcissement et par leur sommeil léthargique, que s’il exerçait sur eux un châtiment exemplaire. Il est donc vrai, chrétiens, qu’il arrive souvent qu’à force d’être irrité. Dieu renferme en lui-même toute sa colère ; en sorte que les pécheurs, étant étonnés eux-mêmes de leurs longues prospérités et du cours fortuné de leurs affaires, s’imaginent n’avoir rien à craindre et ne sentent plus aucun trouble dans leur conscience. Voilà ce pernicieux assoupissement, voilà ce sommeil de mort dont j’ai déjà tant parlé. C’est, mes frères, le dernier fléau que Dieu envoie à ses ennemis, c’est le comble de tous les malheurs, c’est la plus prochaine disposition à l’impénitence