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de temps dans l’empire de la mort, mais il ne laissera rien entre ses mains, si ce n’est la mortalité.

Ne vous persuadez pas que nous devions regarder la corruption, selon les raisonnements de la médecine, comme une suite naturelle de la composition et du mélange. Il faut élever plus haut nos esprits et croire, selon les principes du christianisme, que ce qui engage la chair à la nécessité d’être corrompue, c’est qu’elle est un attrait au mal, une source de mauvais désirs, enfin une « chair de péché », comme parle le saint apôtre. Une telle chair doit être détruite, je dis même dans les élus ; parce qu’en cet état de chair de péché, elle ne mérite pas d’être réunie à une âme bienheureuse, ni d’entrer dans le royaume de Dieu : Caro et sanguis regnum Dei possidere non possunt. Il faut donc qu’elle change sa première forme afin d’être renouvelée, et qu’elle perde tout son premier être, pour en recevoir un second de la main de Dieu. Comme un vieux bâtiment irrégulier qu’on néglige, afin de le dresser de nouveau dans un plus bel ordre d’architecture : ainsi cette chair toute déréglée par le péché et la convoitise. Dieu la laisse tomber en ruine, afin de la refaire à sa mode, et selon le premier plan de sa création : elle doit être réduite en poudre, parce qu’elle a servi au péché…

Ne vois-tu pas le divin Jésus qui fait ouvrir le tombeau ? C’est le prince qui fait ouvrir la prison aux misérables captifs. Les corps morts qui sont enfermés dedans entendront un jour sa parole, et ils ressusciteront comme le Lazare : ils ressusciteront mieux que le Lazare, parce qu’ils ressusciteront pour ne mourir plus, et que la mort, dit le Saint-Esprit, sera noyée dans l’abîme, pour ne paraître jamais : Et mors ultra non erit.

Que crains-tu donc, âme chrétienne, dans les approches de la mort ? Peut-être qu’en voyant tomber ta maison tu appréhendes d’être sans retraite ? Mais écoute le divin apôtre : « Nous savons », nous savons, dit-il, nous ne sommes pas induits à le croire par des conjectures douteuses, mais nous le savons très assurément et avec une entière certitude, « que si cette maison de terre et de boue, dans laquelle nous habitons, est détruite, nous avons une autre maison qui nous est préparée au ciel ». Ô conduite miséricordieuse de celui qui pourvoit à nos besoins ! Il a dessein, dit excellemment saint Jean Chrysostome, de réparer la maison qu’il nous a donnée : pendant qu’il la détruit et qu’il la renverse pour la refaire toute neuve, il est nécessaire que nous délogions. Et lui-même nous offre son palais ; il nous donne un apparte-