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un bien solide et éternel, sur lequel le hasard ne domine pas, et de mépriser par cette vue la fortune toujours changeante, la persuasion de son inconstance fait qu’on se donne tout à fait à elle, pour trouver des appuis contre elle-même. Car écoutez parler ce politique habile et entendu. La fortune l’a élevé bien haut, et, dans cette élévation, il se moque des petits esprits qui donnent tout au-dehors, et qui se repaissent de titres et d’une belle montre de grandeur. Pour lui, il appuie sa famille sur des fondements plus certains, sur des charges considérables, sur des richesses immenses, qui soutiendront éternellement la fortune de sa maison. Il pense s’être affermi contre toute sorte d’attaque. Aveugle et malavisé ! comme si ces soutiens magnifiques, qu’il cherche contre la puissance de la fortune, n’étaient pas encore de sa dépendance !

C’est trop parler de la fortune dans la chaire de vérité. Écoute, homme sage, homme prévoyant, qui étends si loin aux siècles futurs les précautions de ta prudence : c’est Dieu même qui te va parler et qui va confondre tes vaines pensées par la bouche de son prophète Ézéchiel  : « Assur, dit ce saint prophète, s’est élevé comme un grand arbre, comme les cèdres du Liban » : le ciel l’a nourri de sa rosée, la terre l’a engraissé de sa substance ; des puissances l’ont comblé [de] leurs bienfaits, et il suçait de son côté le sang du peuple. C’est pourquoi il s’est élevé, superbe en sa hauteur, beau en sa verdure, étendu en ses branches, fertile en ses rejetons. Les oiseaux faisaient leurs nids sur ses branches (les familles de ses domestiques) ; les peuples se mettaient à couvert sous son ombre (un grand nombre de créatures, et les grands et les petits, étaient attachés à sa fortune). Ni les cèdres ni les pins (c’est-à-dire les plus grands de la cour) ne l’égalaient pas : Abietes non adæquaverunt summitatem ejus… ; æmulata sunt eum omnia ligna (voluptatis quæ erant in paradiso Dei). Autant que ce grand arbre s’était poussé en haut, autant semblait-il avoir jeté en bas de fortes et profondes racines.

Voilà une grande fortune, un siècle n’en voit pas beaucoup de semblables ; mais voyez sa mine et sa décadence : « Parce qu’il s’est élevé superbement, et qu’il a porté son faîte jusqu’aux nues, et que son cœur s’est enflé dans sa hauteur, pour cela, dit le Seigneur, je le couperai par la racine, je l’abattrai d’un grand coup et le porterai par terre ; » (il viendra une disgrâce, et il ne pourra plus se soutenir). « Tous ceux qui se reposaient sous son ombre se retireront de lui », de peur d’être