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CHAPITRE IV.

que, récapituler les diverses dénominations de la chasse fantastique, c’est indiquer, par aperçu, les différentes transformations qu’elle a subies, et reproduire l’histoire de ses nombreuses pérégrinations.

Sous le ciel pur et calme de la Grèce, sous ce ciel dont la limpidité rayonnante semblait devoir exclure les fantastiques apparitions, se manifeste d’abord la vision des chasses nocturnes. Une sombre et plaintive divinité, la reine des ombres, de la chasse et de la nuit, Hécate ou Perséphone, apparaissait le soir aux carrefours des forêts, accompagnée de ses chiens hurlants ; et, à cause des fureurs lamentables auxquelles elle s’abandonnait alors, on l’avait surnommée Brimo (la rugissante)[1].

Souvent aussi la redoutable déesse commandait une troupe de fantômes à laquelle des vivants se sont parfois imprudemment mêlés. Mais cette communication était réputée impure : Plutarque (De superstitione) rapporte que, lorsqu’on avait été de nuit avec Proserpine et en sa danse, on se faisait plonger. par une vieille femme, la première venue, dans l’eau de la mer, afin d’être purifié par ce moyen[2]. Déjà, dans cette tradition ancienne, plane, sur la bande infernale, l’idée d’anathème et de malédiction que le moyen-âge devait développer sous une formule plus saisissante.

Après cette première excursion dans la Grèce païenne, la chasse nocturne se transporte dans la superstitieuse Scandinavie. Ici c’est Odin qui traverse les airs à la tête de ses héros et de ses walkyries ; son apparition est le signal d’une guerre imminente ; car le paradis de ce Dieu belliqueux est partout où se meuvent des scènes de carnage et de victoire[3].

Depuis l’ère chrétienne, les antiques patrons de la chasse fantastique n’ont point été répudiés : Hécate, sous les noms de

  1. Le Loyer, Disc. des Spectres, livre iii, p. 209. — Biographie univers., Mythologie, art. Brimo.
  2. Cité par Le Loyer, Disc. des Spect., p. 873.
  3. Ampère, Histoire littéraire, t. ii, p. 138 et suiv.