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RICHARD SANS-PEUR.

vous enuoit malle grâce. N’étiez-vous pas morte quand on vous a mise aujourd’hui dans le cercueil ? — Non, j’étais seulement pâmée par une violente soif qui m’a prise dans la vesprée, et, s’il est vrai que vous m’ayez jamais aimée d’amour, faites ce dont je vais vous prier. À l’issue de cette forêt, il y a une plaine où se trouve une fontaine, ombragée par un grand arbre ; les bergers ont laissé là un hanap avant-hier : servez-vous en pour puiser de l’eau, et venez me l’apporter.

« Mieulx ne me pourries ma santé auancer[1]. »

Richard obéit à l’instant ; mais ce fut folle idée de sa part, car, pendant son absence, le corps se leva et alla étrangler le chevalier, qui jeta un si fort cri, que Richard l’entendit et en fut tout en émoi. Alors, le duc se hâta de revenir sur ses pas ; en arrivant dans la chapelle, il ne trouva plus ni feu ni lumière ; il s’en vint droit au cercueil, mais le malicieux démon s’était déjà enfui : « Méchante et trompeuse créature, s’écria Richard,

         M’as-tu si engigne
Quen tant mon chevalier as mort et despece ?[2]

« Prends garde à toi, cependant, car je jure par le Dieu qui fait courir la nue sous le firmament, que si jamais je te rencontre en mon chemin, je te pourfendrai de mon épée. » Richard veilla jusqu’au jour le corps de son chevalier, qu’il déposa dans la bière vide.

Quand vint l’heure de prime, l’archevêque et le clergé arrivèrent à la chapelle, pour chanter le service de la duchesse. Richard s’avança à leur rencontre, et conta devant tous sa triste aventure.

« Ne chantes, dist Richard, seigneurs, plus pour ma femme ;
Les grans diables d’enfer en puissent porter lame[3]. »

L’archevêque essaya de réconforter le duc ; « Sire, n’ayez frayeur ni doute ; nous savons que l’ennemi a le pouvoir de

  1. Roman de Richart.
  2. Roman de Richart.
  3. Roman de Richart.