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CHAPITRE II.

obéit ; l’ermite, après avoir consulté le ciel, soumet le pardon de notre héros à trois conditions : il faut, premièrement, que Robert contrefasse le fou, et subisse toutes les avanies que cet état doit lui attirer ; secondement, qu’il demeure constamment muet ; troisièmement, qu’il ne prenne d’autre nourriture que celle qu’il pourra dérober aux chiens. Devant de telles exigences, le zèle de Robert ne se refroidit pas ; notre héros retourne à Rome, où il commence son rôle de fou, au milieu des clameurs et des provocations de la multitude.

Assez matin à Rome vient,
Un grant baston en sa main porte ;
Sitost com il entre en la porte
Fiert et cort et saut et henist,
Si que chascun borgois sen ist
Por la grant mervelle veoir[1].

Peu à peu le jeu devient cruel ; le peuple, qui a commencé par s’amuser des bouffonneries de Robert, finit par vouloir l’assommer, comme un enfant qui brise son jouet quand il en est las. Traqué de toutes parts, le pauvre pénitent se réfugie sous les degrés du palais de l’empereur. Ce prince, qui l’aperçoit, le prend sous sa protection, déclare qu’il sera son fou en titre, et préalablement commande qu’on lui donne à manger. Mais, aux termes de sa pénitence, Robert est obligé de refuser ce qui lui est offert ! Cependant, l’empereur s’avise de jeter un os de cerf à l’un de ses chiens ; aussitôt Robert se jette après le chien, l’attaque, le tiraille, et s’empare vaillamment de l’os, qu’il ronge avec une grande férocité d’appétit. Ce fameux débat achève de concilier à notre pénitent les bonnes grâces de l’empereur. Rien plus, soupçonnant quelque mystère, le prince veut qu’on dresse un lit pour son fou ; mais sa bonne volonté échoue encore une fois contre la muette résistance de Robert. Des bottes de paille sont offertes

  1. Roman de Robert-le-Diable, p. 11, col. 2.