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CHAPITRE XXIII.

tyrannie règne sur elle, et prétend la soumettre. Ainsi le pensait sans doute la belle châtelaine, car elle se montra d’une vertu inflexible. Prières, lamentations, menaces, rien n’y fit, tant qu’à la fin l’amoureux rebuté résolut de jouer à son inhumaine un tour de roi. Il envoya des hommes d’armes pour s’emparer de la petite forteresse. Après quelque résistance on pénètre dans le château ; mais, quel succès dérisoire ! la châtelaine avait disparu. On va à la découverte dans les environs ; nulle trace n’indique une fuite récente ; seulement, on distingue les marques des pas de deux mules qui sont entrées dans le château, et cette empreinte se prolonge vers l’embouchure de la Rille. C’était dans cette direction, en effet, que s’était enfuie la dame du Manoir-Fauvel, accompagnée de son écuyer, et après avoir eu le soin de faire attacher au rebours les fers de leurs montures. Dans ces temps où la divinité du code civil : la rationnelle légalité, n’existait encore que dans les limbes impénétrables de l’avenir, la ruse pouvait être quasi considérée comme une vertu ; c’était la seule défense du faible. L’artifice employé eut, cette fois, un plein succès : la retraite qu’avait choisie la jeune châtelaine demeura introuvable. Mais, faut-il le dire ? cette belle dame s’y montrait dans un état peu digne de son passé. Comme Peau-d’Âne, l’héroïne du Manoir-Fauvel habitait une étable ; elle était devenue éboueuse de vaches, disent crûment les villageois qui racontent aujourd’hui son histoire. Cependant, à l’exemple de Cendrillon, elle se dédommageait des désagréments de son humble condition, en faisait de brillantes apparitions dans les bals aristocratiques du voisinage. Nous serions assez portée à croire que c’est à cette circonstance qu’elle dut de rencontrer, dans son malheur, de tendres consolations ; toujours est-il que la charmante châtelaine contracta un mariage secret.

Sur ces entrefaites, le roi, qui avait cherché en vain, dans les hasards de la guerre, une distraction à son amour, était mort dévoré d’ennuis et de désespoir. La châtelaine crut alors pouvoir revenir, avec son époux, habiter le Manoir-Fauvel ; mais