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LÉGENDES ROMANESQUES.

supplique qui lui était adressée, le jeune solliciteur n’étant pas de ceux qu’on aurait éconduits sans gêne, ni regret. Un breuvage fut préparé, et le plus efficace, le plus merveilleux qui fut jamais. La bonne dame de Salerne y avait mis toute sa science, aidée encore de l’expérience des plus habiles médecins, ses compatriotes et ses émules, qu’elle n’avait pas manqué de consulter. Plus empressé encore au retour qu’il n’avait été au départ, notre voyageur revoit bientôt la délicieuse vallée de Pistres. Il va trouver le roi, et l’avertit que, dans trois jours, il accomplira la difficile entreprise qui doit lui mériter la main de la jeune princesse. Cette courte attente de trois jours se passe en rêves présomptueux de la part de l’amant, en craintives incertitudes du côté de l’amante. Quant au père et à tous les prétendants qui n’ont point osé tenter l’épreuve, ils raillent secrètement la folle témérité du chevalier. Mais le peuple, grand admirateur du courage exalté et des prodigieux dévouements, fait des vœux fervents pour le succès du jeune et vaillant seigneur. Le jour du destin est arrivé. Tous les habitants de la contrée, riches ou pauvres, princes ou sujets, se sont donné rendez-vous au pied de la montagne. La jeune châtelaine paraît bientôt, accompagnée de son père et de son amant ; elle tient cachée dans ses mains la fiole magique qui pourrait rendre le courage et la vigueur à un mourant même. L’amant empressé se saisit de son fardeau précieux, et commence à gravir la montagne. Le silence inquiet de l’attente a remplacé les bruyantes acclamations de la multitude. Ô transport décevant ! entraînante illusion de l’amour ! la terre semble fuir sous ses pas, et, suivant la belle expression du poète, le fardeau chéri, qui devrait l’accabler, soutient ses forces et prête des ailes à son courage[1]. Il monte, il monte toujours ; il monte vers l’espérance, il monte vers le bonheur ! Comment suspendre un instant ses haletantes aspira-

  1. Son fardeau le soutient, il en est idolâtre.


    (Dueis, La Côte des Deux-Amants.)