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CHAPITRE XV.

tirage pour la conscription, et, s’il leur plaît, ils peuvent exempter un jeune conscrit, en faisant monter un haut numéro dans sa main. Personne ne doute que, par des paroles, des amulettes, ils ne puissent couper la fièvre ou le feu d’un incendie. Enfin, ils président à la levée des trésors, et, par leur entremise, le diable est forcé d’abandonner ses droits sur un trésor caché.

Mais le plus redoutable et le plus arbitraire de tous leurs secrets, c’est celui qui leur départit la faculté d’inspirer l’amour selon leur bon plaisir. Par le moyen de leurs pratiques occultes, ils se font suivre d’une jeune fille, quelque vertueuse qu’elle soit ; ou bien ils la forcent de venir les trouver à l’heure du jour ou de la nuit qu’ils ont désignée. Il faut, pourtant, leur rendre la justice de convenir qu’ils n’abusent point de cet excessif privilège ; lorsqu’ils en font usage, c’est par pure fanfaronnade, et la jeune fille qu’ils ont fait venir n’a pas plutôt touché le seuil de leur porte, qu’ils la renvoient avec magnanimité, au moyen d’une simple formule de commandement qui a le pouvoir de rompre le charme, et de rendre la pauvre fille à la honte et à l’effroi de sa situation. On prétend que, pour communiquer cette espèce de maléfice, il suffit au sorcier de toucher de la main un des vêtements de la femme qu’il veut soumettre. Aussi, l’on a vu des jeunes filles bien avisées, rompre elles-mêmes le charme, en se débarrassant, avec promptitude, d’un fichu ou d’un jupon ensorcelé.

Les miracles de la sorcellerie peuvent s’opérer également en vue d’une bonne ou d’une mauvaise fin ; de là vient que les sorciers se divisent en deux classes opposées. Les bons sorciers sont occupés à lever les sorts qui ont été jetés par les mauvais. On voit souvent deux adeptes de la sorcellerie se mettre ainsi aux prises, soit qu’ils diffèrent, en effet, de naturel et d’intention, soit plutôt parce qu’ils sont gagés par des partis contraires ; ils se font une guerre acharnée d’un village à l’autre, avec le secours des armes magiques que le grimoire met à leur disposition. Dans toutes les luttes de cette