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CHAPITRE XII.

longées ; il soulève avec effort la terre dont sa bière est recouverte, et les flammes infernales, attisées dans les os de son cadavre, font éruption en lueurs phosphorescentes. Mais les curés, disent les paysans, ont grand soin de surveiller leurs morts, et de visiter, pendant la nuit, les cimetières. Quand ils entendent pousser des cris, quand ils voient voltiger des flammes, quand ils remarquent qu’une tombe reste toujours aussi élevée qu’à l’époque de l’inhumation ; en un mot, quand ils s’aperçoivent, par quelque symptôme effrayant, qu’un mort ne dort pas paisiblement son sommeil béni, ils déterrent ce cadavre impur, qui deviendrait infailliblement un loup-garou. Pour cette opération, le curé se sert d’une bêche neuve, et réclame d’ordinaire l’aide du sacriste. Lorsqu’il a exhumé le mort, il lui coupe la tête, qu’il ne peut emporter sans la disputer à des chiens voraces qui ne sont autres que des diables accourus pour réclamer la proie qui leur est dévolue. Le curé se hâte d’échapper à leur poursuite, et va jeter la tête du cadavre dans une rivière. Cette tête redoutable, pesante comme le crime, creuse un précipice à l’endroit où elle tombe, et, sans doute, par cette issue profonde, elle descend jusque dans l’enfer, asile désormais inviolable de son éternel supplice[1].

Jean Sans-Terre, ce prince lâche et cruel, dont les crimes et les félonies méritaient, à coup sûr, une punition exemplaire, fut très véhémentement soupçonné d’avoir été transformé, après sa mort, en loup-garou. Un ancien historien normand nous apprend que les religieux de Worcester, à cause des bruits effrayants qui s’entendaient autour de son tombeau, se virent obligés de déterrer son corps et de le jeter hors de la terre consacrée. Ainsi se trouva complètement réalisé le funeste présage attaché à son surnom de Sans-Terre, puisqu’il perdit de son vivant presque tous les domaines soumis à sa suzeraineté, et que, même après sa mort, il ne put conserver la paisible possession de son tombeau[2].

  1. L. Dubois, Annuaire statistique de l’Orne, 1809.
  2. Gabr. Dumoulin, Histoire de Normandie, liv. xiv, p. 259.