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CHAPITRE XI.

Quel parti les dames ont-elles tiré de ce conseil persiffleur ? c’est un examen que notre discrétion ne nous permet pas de risquer. Mais, comme la Chicheface ne s’est plus montrée, on doit en induire charitablement que la race des femmes bonnes et soumises est maintenant en pleine prospérité.

La Bigorne, dont le nom, à proprement parler, signifie qui a deux cornes, était le digne pendant de la chicheface. Ces deux créatures damnées avaient juré de mettre l’enfer dans le mariage ; tandis que la Chicheface dévorait les bonnes femmes, la Bigorne, de son côté, mangeait les trop bons maris. C’est du moins ce qui paraît résulter d’une pièce satirique, réimprimée en 1839, d’après un original gothique, et intitulée : Bigorne, qui mange tous les hommes qui font le commandement de leurs femmes.

La Bigorne servait aussi d’épouvantail aux petits enfants ; quoiqu’il nous reste peu de renseignements sur ses faits et gestes, on peut conjecturer que c’était là son principal rôle.

Les Létiches ne sont pas de la nature fabuleuse de la Bigorne et de la Chicheface, et cependant le peuple entretient aussi, à leur sujet, de merveilleuses croyances.

On donne ce nom de Létiches, Létices ou Laitisses, à de petits animaux d’une blancheur éclatante, d’une agilité extraordinaire, qui n’apparaissent jamais que de nuit, s’ébattant aux pâles clartés de la lune. Aussi les prend-on pour des esprits doux et folâtres : les âmes des petits enfants morts sans avoir reçu le baptême[1]. En réalité, on a reconnu, dans les Létiches, l’hermine de nos climats, qui portait anciennement le nom de Létice. Il paraît même que les Romains ayant donné, aux peuples de la Péninsule bretonne, le nom de Leti, à cause de l’analogie du mot, les Bretons adoptèrent, depuis les temps les plus anciens, l’hermine pour symbole[2].

  1. Pluquet, Contes popul. de l’arrond. de Bayeux, p. 13. — L.-J. Chrétien, Usages, préjugés et superst. de l’arrondiss. d’Argentan, p. 20. — G. Vaugeois, Histoire des antiquités de la ville de l’Aigle, p. 586.
  2. Roujoux, Histoire de Bretagne, t. I, p. 401.