Page:Bosquet - La Normandie romanesque.djvu/245

Cette page a été validée par deux contributeurs.
212
CHAPITRE XI.

sa proie. Puis, notre chevalier se saisit du terrible animal, et le jeta par dessus les murailles de Salerne, avec la même aisance que si c’eût été un petit chien. Les chevaliers Salernitains, témoins de cette preuve extraordinaire de courage et d’adresse, en murmurèrent secrètement de dépit, et se promirent d’exposer le chef normand à un péril dont sa valeur ne saurait triompher. Ils le conduisirent en un lieu écarté, où un horrible serpent avait choisi son repaire. Arrivés à cet endroit, ils s’enfuirent précipitamment, ne laissant à Turstin d’autre compagnie que celle de son écuyer. « Puisqu’il est si fort contre les lions, se disaient-ils, avec une raillerie méchante et lâche, les serpents ne doivent pas lui être à craindre. » Le brave Turstin, étonné de la retraite de ses compagnons, cherchait à en pénétrer le motif, lorsqu’un bruit sinistre se fit entendre. Le dragon s’approchait, exhalant flamme et venin par la gueule et les narines. Le monstre saisit le pied du cheval de notre courageux chevalier ; mais, sans que l’étonnement paralysât son courage, celui-ci mit l’épée à la main, et, se couvrant de son bouclier, frappa le serpent d’un coup dont l’atteinte fut mortelle. Cependant, chose incroyable si des auteurs dignes de foi ne l’eussent affirmée, la flamme que jetait le serpent était si dévorante, qu’en un instant le bouclier fut consumé. Le malheureux Turstin, pour avoir alors respiré le souffle empesté du monstre, trouva la mort sur le lieu même où s’était accomplie sa plus mémorable victoire[1].

Outre les dragons, les hydres et autres reptiles monstrueux, la Normandie possédait encore plusieurs races d’animaux merveilleux ou fantastiques, dont quelques-uns n’étaient, peut-être, que de railleuses inventions des poètes, la Chicheface, par exemple, qui nous est connue par un petit poème satirique, publié par M. Achille Jubinal[2]. Au dire du poète,

  1. Gabriel Dumoulin, Hist. de Normandie, liv. vi, p. 117.
  2. Achille Jubinal, Mystères inédits du xve siècle, t. I, p.390. (Notes.)