Page:Bosquet - La Normandie romanesque.djvu/161

Cette page a été validée par deux contributeurs.
128
CHAPITRE VII.

lopant sur leur dos ; divertissement qui lui est commun avec tous les petits marmots du village[1]. Il vole les meilleurs épis d’avoine pour ses favoris, qu’il distingue par un genre de parure à sa façon espiègle. Il leur lutine les crins, c’est-à-dire qu’il les tresse, les entremêle ou les ébouriffe en écheveau inextricable. On raconte même que deux jeunes filles ayant couché dans une écurie, un mauvais lutin s’amusa, pendant la nuit, à lutiner tellement leur belle chevelure, que le lendemain elles furent obligées de la couper.

Les petits enfants ont aussi leur part dans ces attentions malicieuses. Le lutin est pour eux un père nourricier très expert, qui les berce et même les fouette au besoin ; qui les pince pour éveiller leur sensibilité, et les caresse pour essuyer leurs larmes ; mais qui compense le tout par de bonnes régalades de bouillie, qu’il prend soin lui-même de leur préparer.

Les Lutins affectionnent différentes métamorphoses : notre Gobelin se transforme souvent en cheval ; on l’appelle alors le cheval Bayard. Mais c’est un véritable animal diabolique qui se complaît à jouer mille attrapes. Il s’en va, tout sellé et bridé, au-devant de quelque pauvre paysan rompu de la fatigue d’une longue route, et qui regagne péniblement son logis. Quelquefois, tenté par la bonne apparence de la monture, le crédule voyageur se hasarde à enfourcher le soi-disant cheval ; c’est alors une agilité de pirouettes, de sauts et de soubresauts, de caracoles, de pétarades à mettre aux abois le meilleur écuyer ! Encore n’a-t-on pas la chance de quitter à volonté cette maudite monture : il faut, bon gré mal gré, attendre que le gobelin juge à propos de terminer la plaisanterie, et de se débarrasser lui-même de son cavalier ; ce qu’il fait en le jetant lestement au milieu d’une mare ou d’un fossé plein d’eau bourbeuse[2].

  1. Acad, celtique, t. IV, p. 77. — Cassien, cité par Becker, Monde enchanté, t. I, p. 293. — L. Dubois, Annuaire statist. du dép. de l’Orne, 1809, p. 114. — Pluquet, Contes populaires de l’arrond. de Bayeux, p. 14.
  2. L. Dubois. Annuaire statistique du dép. de l’Orne, 1809, p. 116.