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LES FÉES.

barrassé par un réseau inextricable de ronces et d’épines, des épines-fées, comme celles qui défendaient le château de la Belle au Bois dormant[1].

Sur un gué de la Dive, entre Vicques et Vicquette, dans l’arrondissement de Falaise, se trouve un pont dit le pont Angot, mystérieusement abrité par les épais ombrages des deux rives qu’il réunit. Ce pont était devenu le lieu de rendez-vous de toutes sortes de fantômes nocturnes. Les blêmes squelettes des revenants s’y promenaient gravement ; les lutins y pullulaient et s’y exerçaient à mille tours ingénieux, à mille supercheries perfides ; les blanches Létices le traversaient à chaque instant, plus rapides, dans leur course, qu’un lièvre poursuivi[2] ; tous les chats des vieilles sorcières, tous les chiens des méchants bergers, tous les hiboux des ruines maudites, y tenaient conciliabule. Mais la présidente, la reine de cette étrange assemblée, c’était une Dame blanche, qui, d’ordinaire, demeurait assise sur l’étroite planche du pont. Si un voyageur tentait de traverser ce passage, la dame lui en défendait l’entrée, à moins qu’il ne lui fît hommage en la suppliant à genoux. Refusait-il de se prêter à cette démonstration humiliante, la fée irritée le livrait à sa société infernale, qui, sous prétexte de s’en faire un jouet, infligeait au rebelle une variété de supplices plus navrants et plus cruels les uns que les autres ; trop heureux encore quand sa vie était épargnée[3].

On prétend aussi que l’on a vu la dame du pont Angot, dans ses nuits de loisir et de solitude, laver sa lessive à la lueur pâle des étoiles. Cette occupation, tristement pénible, que la tradition a prêtée à des êtres d’une nature aussi supérieure, d’une puissance aussi redoutable que le sont les fées, n’est-elle pas comme une image de la misère douloureuse qui se fait la secrète compagne des plus brillantes destinées d’ici-bas ?

  1. Pluquet, Contes populaires de l’arrondissement de Bayeux, p. 3.
  2. Sur les Létices, voyez le chapitre des Animaux fantastiques.
  3. Galeron, Statistique de l’arrondissement de Falaise, t. ii, p. 437.