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CHASSES FANTASTIQUES.

souvenir de moi dans vos prières, et répandre en mon nom quelques aumônes, j’espère, dans un an, à Pâques-fleuries, être sauvé par la grâce du Créateur. »

Gaucelin écoutait attentivement ces étranges révélations. Il demanda ensuite à son frère pourquoi il portait à ses talons un grumeau de sang, de la forme d’une tête humaine. « Ce que vous voyez, répliqua celui-ci, n’est pas du sang, mais du feu, et cette masse pèse plus à mes pieds que le Mont-Saint-Michel. Mais j’avais coutume de porter des éperons très pointus, pour voler plus vite aux combats, et maintenant il me faut traîner, après moi, le poids du sang que j’ai répandu. Mettez à profit mon exemple, ajouta encore le fantôme, et songez sérieusement à votre salut, car votre vie ne sera pas de longue durée. Ayez soin aussi de ne raconter à personne, avant trois jours, les merveilles dont vous avez été témoin. »

Le chevalier disparut à ces mots. Le jeune prêtre retourna à sa maison, mais il tomba gravement malade pendant huit jours. Lorsqu’il se sentit en convalescence, il se rendit auprès de Gislebert, évêque de Lisieux, à qui il fit une confession véridique de ce qui lui était arrivé. Cependant Gaucelin, ayant reçu de son supérieur spirituel tous les secours que réclamait sa situation, vécut encore quinze années après cette mémorable aventure[1].

Sans doute, la singulière hallucination dont nous venons de raconter à nos lecteurs les poétiques détails, si minutieusement recueillis par notre historien normand, ne peut être expliquée autrement que par le trouble d’un cerveau fiévreux. Remarquons seulement, à ce propos, que, dans le phénomène des acousmates, réside la cause matérielle qui a suggéré, à l’imagination populaire, l’invention des chasses fantastiques. Nos observateurs normands attribuent ces bruits mystérieux, entendus dans l’air, à des troupes d’oiseaux de passage, dont le vol s’élève à un assez grande hauteur pour

  1. Orderic Vital, Hist. de Normandie, liv. viii, p. 327 et suiv.