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CHAPITRE IV.

n’ajouterait point foi à ses paroles. Cependant, sur de plus pressantes instances, il se laissa fléchir. Alors Guillaume se mit à lui confier de nouvelles particularités dont l’énoncé devait suffire à convaincre sa femme que le message venait de lui. Or, cette confidence révélait tant d’infamies et de turpitudes, que Gaucelin épouvanté s’écria encore une fois qu’il ne s’exposerait point à répéter des choses si affreuses. Exaspéré par ce nouveau refus, le fantôme se jeta sur le jeune prêtre, le saisit à la gorge et le renversa par terre. Celui-ci sentit que la main qui l’étreignait était brûlante comme le feu. Dans ce moment d’angoisse, il eut l’heureuse inspiration d’invoquer le secours de Marie, mère de Dieu. Un autre chevalier survint tout-à-coup : « Maudits, s’écria-t-il, pourquoi tuez-vous mon frère ? laissez-le et partez. » Les quatre chevaliers s’éloignèrent aussitôt et rejoignirent la troupe noire. Alors le nouveau survenant étant demeuré seul avec Gaucelin : « Ne me reconnaissez-vous pas ? dit-il ; je suis votre frère Robert, fils de Raoul surnommé le Blond. » Le jeune prêtre, qui se tenait sur la défensive, fit quelques difficultés pour avouer son aîné. Mais celui-ci lui rappela d’une manière si touchante les bienfaits et les soins dont il avait entouré sa jeunesse, que Gaucelin ne put persister dans un ingrat désaveu. Alors le fantôme se prit à lui faire d’autres représentations : « Vous auriez dû mourir et venir partager les tourments que nous endurons, pour la témérité coupable qui vous a fait porter la main sur la propriété des morts. Cependant la messe que vous avez dite aujourd’hui vous a sauvé, et il m’a été permis de vous apparaître pour vous confier ma misère. Toutes ces armes que nous portons sont brûlantes d’un feu qui ne se ralentit point ; elles exhalent une puanteur suffocante, et leur poids excessif brise nos membres d’une fatigue intolérable. Voilà les tourments que nous subissons. Cependant, du jour où vous avez été ordonné prêtre en Angleterre, votre père Raoul, qui partageait mes peines, a été délivré ; moi-même j’ai été déchargé d’un bouclier qui m’occasionnait un surcroît de tortures. Si vous daignez vous