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CHASSES FANTASTIQUES.

rappelle, comme l’a remarqué M. Ampère, que les Dieux auxquels appartenait le patronage de la chasse bruyante, ont été transformés en démons par le christianisme[1].

Mère Harpine[2] est tout simplement un surnom insultant, attribué au démon-femme qui conduit la bande infernale. Ainsi, cette dénomination doit être confondue avec celle de Proserpine ou Chéserquine. La preuve qu’elles s’appliquent toutes les trois au même personnage, existe dans l’identité des traditions qui se débitent au sujet de chacune d’elles.

Lorsque le paysan normand entend bruire au-dessus de son toit la troupe impure commandée par Proserpine ou Mère Harpine, s’il s’avise, cédant à je ne sais quel accès de vertige diabolique, de s’écrier : Part en la chasse ! en réponse à sa demande indiscrète, on lui jette aussitôt par la cheminée un lambeau de cadavre. C’est là, en effet, le gibier hideux que l’infâme sorcière va déterrer dans les cimetières, pour en repaître sa bande maudite, et assaisonner l’ennui d’une oisive et fatigante excursion[3].

Certain villageois qui avait proféré, au moment où Proserpine traversait les airs, le souhait sacrilège : Part en la chasse ! trouva le lendemain une moitié d’homme accrochée à sa porte. Ce gage funeste lui inspire autant de dégoût que d’horreur : il veut s’en débarrasser au plus vite, et va le jeter à la rivière ; mais à peine notre homme est-il de retour à sa maison, qu’il retrouve la venaison diabolique suspendue à la même place. L’imprudent sent redoubler sa terreur, et, avec elle, un pressant désir d’en finir avec ce don fatal. Un nouveau transport à la rivière n’a pas plus de succès que le premier. Le malheureux s’aigrit, s’exaspère : il recommence vingt fois, cent fois le même voyage, sans s’arrêter à raisonner sur sa

  1. Ampère, Histoire littéraire, t. ii, p. 138 et suiv.
  2. Harpin est une qualification employée populairement en Normandie pour désigner un homme avare et méchant. Harpine pourrait encore venir de harpie, femme criarde et acariâtre.
  3. Louis Dubois, Ann. statist. de l’Orne, 1809.