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Nérac. Henri de Navarre, satisfait des garanties accordées aux protestants, avait le plus grand désir de maintenir cette paix qui laissait aux populations un repos devenu bien nécessaire. Il ne se méprenait pas sur les intentions de Catherine de Médicis, tou-

    il commence à rouler le plus qu’il est possible ; je luy tiray cinq ou six estocades qui tous portoient sur luy. Toutefois pas une ne perça le pourpoint. Le poursuivant, et le pied m’ayant glissé, je tombay, et estant à terre il me donna un coup dans la chausse qui ne me blessa point. Je me relève soudain et commence à le recharger. Il me tourna le dos et commença à fuyr, tant qu’il pouvoit courre. Cependant je entendis le baron de Salignac qui disoit au sr de Duras « Prenez une espée ». Ce que n’en voulant point prendre le dict Duras commence à crier à son frère « Mon frère, vous fuyez, vous faites le poltron ». Il tourna, et en tournant le sr de Rozan tomba. « Je luy dis « Lève toi ». Là dessus, je me senty charge de cinq ou six qui me baillèrent trois coups d’espée par derrière et deux par devant, tout en un même temps, sans que le dict de Rozan s’approchast de moi. Incontinent le sr de Duras commence à crier à ses gens « Au baron de Salignac, tuez, tuez. » Le baron de Salignac vit que cinq ou six s’advancèrent pour le charger et ung entre autres qui est fort blond et avoit un manteau rouge doublé de vert, qui estoit cinq ou six pas devant eux les joignant. Le sr de Salignac alla à luy ; luy se retira jusques à ses compagnons, et tous ensemble se retirèrent plus de huit pas, ce qui l’empescha de voir ce que le dit sr de Duras fit. Depuis, les dicts me laissèrent après m’avoir blessé de seize ou dix sept coups d’espée, et estant tout en sang, je chargeay encors le sr de Rozan, lequel je feis encore fuyr et reculer devant moy. Le dict sr de Duras luy cria encore les mesmes mots qu’il avoit fait auparavant, et prenant une espée s’en vint à moy, et m’en tira une estocade qui ne fit que me percer le pourpoint. « Las ! ce dis-je, c’est une grande meschanceté, ce n’est pas la courtoysie que le baron de Salignac t’a fait, et celle que j’ay faite à ton frère à ceste heure. » Là dessus je m’arrestay ; et vint un gascon de la fruicterie de Madame la Princesse de Navarre qui me dist « M. de Turenne, retirez vous, ils vous tueront, » « Las ! ce dis-je, c’est estre trop armé, et encores estre dix ou douze sur un homme. » Je me mis adonc à main gauche, et eulx à main droicte, et commençasmes à nous en aller vers la ville. Comme j’eus fait environ deux cens pas, je trouvay M. de Lusignan avec deux de ces gens auxquels je dis « Vrayment, voylà de meschans hommes, estre armés et encore dix ou douze sur un homme ». Là dessus je trouvay encore M" le Mareschal de Biron auquel je tins mesme langage et me retiray à mon logis. »

    Le tribunal des gentilshommes, présidé par le maréchal de Montmorency, à la suite de considérants dont l’un signale « la courtoysie du baron de Salignac, pour avoir fait reprendre une espée au sr de Duras, la sienne estant rompue, déclara que les frères de Duras s’estaient rendus coupables d’assassinats et que on ne pourra trouver mauvais les voies desquelles le vie de Turenne usera all’encontre des personnes qui se sont monstrées indignes d’estre appellez avec les armes. »