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L’OPIUM

devait à sa rosette une modique place de caissier. Le jeune ménage s’était promené quelque temps dans les colonies, mais, finalement, réintégrait la France sans les économies rêvées, ramenant, au lieu de trésor, un domestique annamite, qui pris d’une adoration pour Marcel n’avait pas voulu s’en séparer. M. Deschamps, enfin promu capitaine, obtenait une perception et commençait sa tournée de voyages à travers la France, ses postes changeant tous les trois ans, au gré de l’avancement et surtout des disgrâces. Cette Juiverie Errante, escortée par les grands parents toujours plus vieux et plus grognons, interdisait le retour de l’aisance, creusait un fossé de dettes misérablement mesquines.

Or, l’amour était mort, qui seul eût soutenu, consolé le couple. La jeune femme perdait d’abord sa mère, un grand cœur, qu’avaient inconsciemment brisée son gendre et son mari, puis le frère et la sœur de Marcel emportés dans leur premier sourire. À ce moment, commençait un long martyre, le long duquel saignaient tous ses orgueils. Dès les premières épreuves, les parents de son mari lui reprochaient sa pauvreté. On l’insulta le jour où, pour la troisième fois, elle se sentit mère. Le percepteur était faible, sans caractère, soumis aux siens comme un enfant. Certes, il n’était point méchant homme, mais une lâcheté souvent rend cruels les êtres inintelligents, et il était inintelligent au point d’en vouloir à sa femme pour sa supériorité. Aussi céda-t-il à l’influence des siens, s’aigrissant davantage à chaque épreuve. Un jour, il lui reprocha d’être sans dot : « Si j’avais attendu ma seconde épaulette, j’aurais fait un riche mariage, et, pouvant payer un fort cautionnement, obtenu une perception importante, ou même une recette particulière. » Comme sa maternité l’avait pour un temps maigrie, il la trompait.