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L'OPIUM

le salut d’adieu ; il s’en agaça, furieux de l’insouciance de ces matelots dont les bras allaient et venaient, distraits et monotones. Alors, il se réaccouda sur la lisse, se contraignant à déchiffrer au passage les noms des steamers rangés les uns le long des autres, l’arrière à quai, pareils des chevaux à l’écurie. Imitant leur hôte, le navire de guerre, ils rendaient le salut au courrier, eux aussi. Ce fut, pendant cinq minutes, une voltige de pavillons que l’absence de soleil décolorait, que l’averse faisait lamentables. Puis, plus rien. À droite le large, là sous cette brume légère où l’averse s’étale en rideau, là, derrière et après ce bout de jetée, où la foule a couru et grouille, fourmilière tapie sous des parapluies. Des cris arrivent, et vingt, et cinquante, et cent, cinq cents mouchoirs s’agitent, ensemble, sous les dômes de soie qu’anime une danse de Saint-Guy.

— Adieu !… adieu !… Bon voyage !

Des syllabes provençales, plus hautes, plus chantantes, dominent les autres. Et toujours les mouchoirs s’agitent. On dirait d’un essaim d’oiseaux blancs tentant de s’envoler de ces blocs de pierre et toujours reculant, effrayés par l’eau. Les passagers se sont tous précipités à tribord, pressant Marcel qui suffoque. Ils répondent aux vivats ; leurs mouchoirs, leurs chapeaux dansent aussi entre les pistolets et les haubans, au bout de bras infatigables.

— Au revoir !… au revoir !…

Des enthousiastes crient des dates, des noms propres, et Deschamps se recule, tombe sur un banc à côté d’un Anglais grave et flegmatique qui déjà consulte sur ses genoux la première carte de son Itinéraire.

— Mais qu’ai-je donc ? pense le jeune homme… Puisque je ne l’aime plus !…

Il ne dit point comme à Paris : Puisque je ne l'aime