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l’opium

tendres souvenirs de son voyage. Le bienveillant optimisme qu’exhale la fumerie le consolant des défaillances de son vouloir, — le consolant de tout, il attribuait à la chaleur la diminution croissante de son appétit, à l’habitude le calme actuel de sa chair.

À présent, l’augmentation de ses doses d’opium le gênant vis-à-vis d’Herthol, il fumait fréquemment chez le capitaine Lehrer, chez Rémy le vieil interprète, et même dans sa veulerie, chez Bernardet, le jeune élève administrateur, son secrétaire. Il ne trouvait pas d’autres fumeurs européens ; mais pour pallier les récidives de son indiscrétion, il arrivait chez eux avec un flacon d’opium en poche. Ses amis, du reste, refusaient ses excuses. Plus accueillants chaque jour, ils célébraient l’opium avec, dans la voix, dans les yeux, des enthousiasmes pareils, et de pareilles hésitations dans l’ambiguë description de leurs plaisirs. Tous montraient les mêmes ardeurs de prosélytisme. Peu à peu, Marcel, perdant ses fiertés, glissait à imiter leur propagande. Sans se rendre compte du mobile auquel il obéissait, ou bien attribuant à l’influence même de la pipe sa recherche d’un compagnon, il tenta de décider les frères Lochery.

— Mon cher, lui répondit le cadet, vous êtes comme les enfants vicieux qui ne veulent pas être seuls à jouer aux jeux défendus ! J’ai des troupiers aussi dans mon bataillon qui appellent leurs camarades et partagent les risques avec le plaisir, lorsqu’ils ne sont pas sûrs de la santé des femmes !...

Marcel se fâcha, mais sa bouderie ne dura pas une heure. L’opium endormait ses rancunes, et comme le fumeur étendait à lui-même les bienveillances de sa fumée, il ne s’apercevait point, retrouvant seulement sa volonté pour s’aveugler ou pour discuter les faits positifs, que le moindre effort l’oppressait aujourd’hui.