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distance, le même cri que R. Rolland jetait dans son bel article de juillet 1900, intitulé le Poison idéaliste.[1]

Clérambault, cependant, passe par des alternatives de confiance et d’abattement ; son ami, le savant Hippolyte Perrotin, oppose à sa douleur « l’inhumanité calme de sa pensée » et lui démontre, avec une cruelle bonhomie, que « la guerre n’a jamais empêché la terre de tourner, ni la vie d’évoluer. C’est même une des formes de son évolution… Cette crise n’est rien de plus qu’un phénomène de cystole, une contraction cosmique, tumultueuse et ordonnée, analogue aux plissements de la croûte terrestre, accompagnés de tremblements destructeurs. L’humanité se resserre. Et la guerre est son sisme. » (p. 132). Mais Clérambault veut être libre, se dégager de ses instincts et de ses passions, pour tâcher de « voir par dessus les nuages de poussière qui s’élèvent des troupeaux sur la route du présent, pour embrasser l’horizon, afin de situer ce qui se passe dans l’ensemble des choses et l’ordre universel. » Sur ces entrefaites, il va voir à l’hôpital un camarade de son fils Maxime, un enfant de l’Assistance, Aimé Courtois, qui a reçu dix-sept blessures et est amputé des deux jambes. La résignation de ce blessé, sa passivité fataliste le font souffrir. Assez de ce silence qui lui semble de la lâcheté ! il parlera. Clérambault publie, pour soulager sa conscience d’homme libre depuis tant de mois opprimée, de petits pamphlets. Le premier est intitulé : « Ô Morts, pardonnez-nous. » « J’avais un fils. Je l’aimais, je l’ai tué ! Pères de l’Europe en deuil, pères veufs de vos fils, ennemis ou amis, tous couverts de leur sang, c’est pour vous que je parle… Je pense aux fils encore vivants… Chaque meurtre nouveau tue mon fils une fois de plus… Je dois épargner aux pères qui viendront la douleur où je suis… La patrie c’est vous, pères. La patrie, c’est nos fils. Tous nos fils. Sauvons-les ! »

  1. À comparer avec les extraits cités page 42 de ce livre.