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La correspondance innombrable qu’il reçoit de tous les pays de l’univers, les visites, les conversations, usent un temps précieux et morcellent ses journées. Il a tenu tête aux injures, aux cris, aux calomnies et, demeuré ferme et patient, au milieu de ses espoirs souvent déçus et de ses angoisses, il attend une éclaircie. Les tempêtes qu’ont soulevées ses articles, sans le désabuser ni le décourager, l’ont fatigué. Les jours sont troubles. Il fait sombre et triste sur le vieux monde et la mort n’a pas achevé son œuvre. R. Rolland a besoin de se rasséréner, de se reconquérir. Déjà pour célébrer le tricentenaire de la mort de Shakespeare, il a publié, en avril 1916, dans une revue suisse Demain, un article intitulé : La Vérité dans le théâtre de Shakespeare,[1] fragment d’un vaste ouvrage sur le grand poète anglais, dans lequel il s’efforcera non point de porter, après tant d’autres scribes et discutailleurs, un jugement d’ensemble, mais bien plutôt de « mettre en lumière sa vision intrépide de la vie ». Certes, il se devait de ne pas oublier celui qui avait été son maître préféré depuis l’enfance (cf. p. 29) et dont Tolstoï, lui aussi, avait tracé un jour une silhouette curieuse et paradoxale.

Mais ce passionné de liberté, ce « fidèle », épris de foi humaine, qui « dans cet entr’égorgement de la civilisation eût redit volontiers la devise d’Antigone : « Je suis fait pour l’amour et non pas pour la haine », (Jean-Christophe, Dans la Maison, p. 244) souffrait de ne pouvoir, si faible et un contre tous, sauver l’humanité. Sa santé chancelante l’oblige au repos ; ses nerfs tendus depuis des années sont épuisés. L’air de mensonge lui semble irrespirable. Il lui faut se

  1. Cf. Bibliographie n° 104.