Page:Bonnerot - Romain Rolland sa vie son oeuvre.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Son amour et sa reconnaissance pour elle ne feront que grandir avec les années, jusqu’à ce mois de mai 1919 où il vint à Paris dire adieu à sa mère mourante : tous ses beaux souvenirs d’enfance, hier encore vivants, étaient du même coup rejetés dans le passé. Il n’avait que cinq ou six ans quand elle lui fit poser ses petits doigts sur les touches d’ivoire, et, lui donnant sa première leçon, entr’ouvrit à son âme candide un monde immense de joies. Puis ce furent les morceaux joués à quatre mains avec sa sœur, les partitions déchiffrées dans le silence du salon. Heureux temps qu’il évoquera plus tard avec piété. « Tout est musique pour un cœur musicien. Tout ce qui vibre et se meut et s’agite et palpite, les jours d’été ensoleillés, les nuits où le vent siffle, la lumière qui coule, le scintillement des astres, les orages, les chants d’oiseaux, les bourdonnements d’insectes, les frémissements des arbres, les voix aimées ou détestées, les bruits familiers du foyer, de la porte qui grince, du sang qui gonfle les artères dans le silence de la nuit, — tout ce qui est, est musique ; il ne s’agit que de l’entendre ». (L’Aube, p. 136).

Éducation musicale encore bien imparfaite dont les romances, les airs italiens, quelques morceaux de Weber et de Mozart firent longtemps tous les frais. Il souhaitait de la compléter ; de courir les concerts vivants des grandes villes, et de « sentir couler dans son cœur les flots de bonté, de lumière et de force qui ruisselaient des grandes âmes de Beethoven et de Wagner. » Se consacrer, s’abandonner tout entier à la musique était son rêve. Les années passaient. Il fallait prendre une décision ; ses parents choisirent l’École Normale : concours difficile dont la préparation exigeait au moins deux ou trois années dans un lycée de Paris. C’est ainsi que toute la famille vint, à la fin de l’année 1882, s’installer dans la capitale, à quelques pas de ce jardin du Luxembourg, si cher à Jean-Christophe