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de tous. Il n’est de mots ni nobles ni vulgaires ; il n’est de style ni châtié ni impur ; il n’est que ceux qui disent ou ne disent pas exactement ce qu’ils ont à dire. Sois tout entier dans tout ce que tu fais, pense ce que tu penses et sens ce que tu sens. Que le rythme de ton cœur emporte tes écrits ! Le style, c’est l’âme ! » (Les Amies, p. 80). R. Rolland a donné là une belle leçon aux stylistes épris d’étrangetés et aux rhétoriqueurs sans idées.

M. Georges Guy-Grand, étudiant « le conflit des croyances et les mœurs littéraires d’avant-guerre »[1] et rapprochant Romain Rolland d’Anatole France, traçait de l’auteur de Jean-Christophe un portrait assez dur et injuste qui vaut cependant d’être retenu, parce qu’il représente la moyenne de ces fausses opinions : « Jeune, il avait souffert du manque de directions. Il s’était détourné de ses aînés français, les Taine, les Renan, dont le pessimisme le glaçait, dont l’intellectualisme ne le nourrissait pas. Il avait demandé à des maîtres étrangers ce dont avait besoin son âme de musicien : à Wagner sa profondeur trouble ; à Tolstoï, frère plus pur de Rousseau, son christianisme. Il s’était fait ainsi ce que Nietzsche voulait qu’on eût : une âme d’européen. Par cette discipline, il était revenu à ce qu’il y a de plus généreux dans notre tradition française : il avait chanté tous les héroïsmes, celui de Saint-Louis comme celui de Danton,… en même temps qu’il continuait à demander à ce qu’eût de meilleur la vieille Europe, un Reethoven, un Michel-Ange, des foyers d’enthousiasme et d’énergie… R. Rolland enseignait des choses généreuses et fortifiantes ; il chantait la liberté, l’héroïsme, le sacrifice ; son idéalisme s’efforçait centre le matérialisme délétère où il avait trouvé l’Europe… Pourquoi n’aboutissait-il pas ? C’est qu’il lui manquait ce qu’il avait trop dédaigné chez nos maîtres à nous : la clarté, la décision, la forte systématisation intellectuelle. Il avait la chaleur du cœur, il lui manquait la discipline de l’esprit. Un Anatole France était une intelligence sans flamme, un Romain

  1. Mercure de France, 16 juillet 1919, pp. 201-202.