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flaient de l’ouest, la jônée de la tour de Brison, s’éparpilla d’abord, crépitante et claire, en aigrettes d’or, en flocons étincelants. Mais la flamme se concentra bientôt, et forma comme un geiser de feu, dont la pyramide en fusée atteignait plus de trente pieds de hauteur. Elle fut aperçue de soixante paroisses.

Les chefs de la Fédération catholique allumèrent aussitôt des jônées semblables au pied des tours désignées par le prieur. À ces feux répondirent d’autres feux. Une couronne d’issarts, faits de mottes sèches, illumina comme d’un vaste réseau d’incendie la cime des volcans helviens, de Montlaur à Mézillac, de Coucouron à l’Host du Petit-Paris, et, en moins de dix minutes, rayols, cévenols et pagels, au courant de la conjuration, surent que le camp de la résistance s’organisait, et qu’il fallait se rendre en armes, huit jours plus tard, sous les vieux chênes de Jalès.

Dans le cercle rougeâtre de l’atmosphère embrasée, Castanet et ses amis se détachaient vigoureusement. Des villages perchés sur les contreforts de la chaîne tanarguaise, on voyait s’agiter leurs ombres fulgurantes : les enfants apeurés se cachaient, et plus d’une vénérable ancêtre, ignorant le mystère de la jônée, disait à sa bru : « Ma fille, les sorciers reviennent à la tour de Brison. C’est mauvais signe. Prions Dieu. »

Enfin, la grande jônade mourut, faute d’aliments. Le ciel reprit son opacité bleue, émaillée d’étoiles. Jan, en bon rayol, franchit sept fois la braise agonisante, d’où, par intervalles quelques lucioles sortaient. Il mit de côté trois tisons pour la métayère du Gerboul, et, en appelant aux cébets des paroisses dont le mont Brison et la vedette, il leur brâma comme s’ils pouvaient l’entendre, cette enthousiaste clameur :

« Aux armes, les catholiques du Bas-Vivarais !… Aux armes, ceux de la Montagne et du Mailhaguez, ceux de la Cévenne et ceux du Koyron !… Aux armes tous, et en avant pour Dieu et le Roi ! »

La voix de Jan était si forte qu’elle eut de l’écho jusqu’à Valousset, Sarrasbache et Plan-la-Tour, à une lieue de Brison.

Ensuite, avec sa corne de chasseur qu’il portait en sautoir, Jan sonna le branle-bas. De colline en colline, de vallée en vallée, le son fidèlement se répercutait. Des sons d’alarme aux sons de bataille ripostèrent ; mises en mouvement par des mains invisibles, les cloches entrèrent dans le complot, et le tocsin tinta partout, pressant et lamentable :

— Où donc est le feu ? se demandaient les bisets, avec un anxieux étonnement.

Ils ne se doutaient pas que ces cornes de pâtres sonnaient la guerre sainte contre la Révolution, et que ces cloches de village avertissaient le Bas-Vivarais fidèle, prêt à se lever pour sa foi, de faire pieusement la veillée des armes.

Firmin Boissin.

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