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Chargé d’allumer sur la plate-forme de Brison la jônée qui devait donner le signal de la Fédération catholique, Jan Castanet attendait, non loin de la fontaine de la Bouscharade, quatre de ses amis, Pierre Tanga, le chevalier de Pazanan, Roger de Sauveplane et Benoît Graffand, dit l’Hercule. Ils devaient l’aider à rassembler du bois mort. La Bouscharade coule au fond d’un ravin sauvage. Les cébets s’y faufilèrent par des chemins différents. L’eau de la source, gazeuse et minéralisée, les désaltéra. De ce point, l’accès vers Brison présente de grandes difficultés ; mais on est sûr de ne rencontrer personne dans ces casse-cous, côtoyés de précipices. Jan et ses amis montèrent par là. L’ombre montait avec eux.

Cependant, il soleillait encore quand ils prirent pied sur la plate-forme. Rasant le mont Lozère, l’astre se baissait, d’un mouvement splendide et lent. Sa dernière flèche enflammée, issant d’un nuage fugitif, noya d’une coulée de vermeil le col de l’Esquerinet, fenêtre ouverte aux yeux des Alpes sur le Tanargue, et s’éteignit. Découpée dans l’espace immense, la vieille tour effritait ses ruines le long des rochers quartzeux, et une sorte de pulvérulence dorée moirait le grenat des bruyères qui ceinturaient les flancs du cône gigantesque. Le spectacle était divin. Jan se hâta de ramasser du combustible dans les blaches de Cubagnat et du Grel. Sous une baume, des bergers avaient entassé du houx et du genêt, en nombre. Graffant et Tanga transportèrent ce bois très sec devant la tour et en firent un vaste bûcher.

Subitement, tout s’estompa ; le crépuscule envahit les hauteurs, couvrant le bas-pays de ténèbres ; quelques étoiles perlèrent dans le ciel, et les cloches de plus de vingt églises carillonnèrent l’angélus. Ce fut le moment. Jan battit le briquet, alluma le bois mort, et la jônée commença.

On désigne du nom de « jônées » ou « jônades », les feux de la Saint-Jean et de la fête des brandons. Le 23 juin, à la tombée de la nuit, chaque famille fournit un fagot. Autant que possible, le bûcher se construit sur une aire, un peu loin des maisons, et c’est le plus âgé qui remplit l’office d’allumeur. Dès que les fagots pétillent, vieux et jeunes, tout autour, dansent en rond. Les gars les plus lestes, quand le foyer croule, s’élancent à travers la jônée, et ce saut périlleux passe pour une purification. Qui saute sans trébucher, sans broncher, sans se brûler, est indemne de maladie, l’année courante. La flamme finit par s’amortir, et alors la sauterie devient générale. Il n’est même pas rare de voir de robustes paysannes, leurs marmots au bras, franchir d’un bond, jupes retroussées, le brasier pétillant, tandis que les aïeules, leur pelle à la main, ont soin de choisir et d’emporter un tison demi-calciné. Ces bonnes ménines sont remplies de prévoyance : elles croient qu’un tison carbonisé d’un feu de la Saint-Jean neutralise les maléfices des jeteurs de sorts.

Attisée par les aures, molles et chaudes, qui, ce soir-là, souf-