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châtaignier, quoique traité en ilote, atteint des proportions phénoménales. De ses rameaux vigoureux, il couvre toutes les rampes légères. Le climat tempéré se prête ici à de nombreuses variétés de culture. En dehors du long ruban, qui des Vans à Aubenas, disjoint les calcaires du « savel », pas de plaines. Des vallées richement arborescentes et peuplées de maisons mates ; des gorges obscures, buissonneuses, qu’arrosent de petits torrents endiablés ; des terrassements symétriques, où poussent, pêle-mêle, soutenus par des murailles sèches, le mûrier, l’olivier, la vigne ; d’abruptes collines, dont les défilés abritent d’innombrables troupelets de biques et d’ouailles, tandis qu’à leurs croupes en promontoire, s’accrochent, comme des nids d’hirondelle, des bordes à tènement modeste, et qu’à leur crête dénudée, toute rouge, pauvres ruines féodales tracassées par le lierre, se cramponnent les assises des vieux donjons détruits. Quelques châteaux du temps passé pourtant restent intacts sur leur base : tels, Montréal, berceau du courageux Ligueur de ce nom ; Vinezac, bâti par le vainqueur des Camisards ; Tauriers, à la noble famille de Rocles ; la Saumès, aux Chanaleilles ; la Bastide, aux Montravel ; Sorbière et Valoubière aux d’Allamel de Bournet ; Joannas, aux Fontaine de Logères ; Vernon, dont furent conseigneurs les descendants d’Eustache d’Agrain, prince de Sidon et de Césarée, vice-roi de Jérusalem. Ces témoins muets des gloires d’autrefois dessinent, par ci par là, leur silhouette imposante dont la physionomie sévère imprime au paysage un cachet d’incomparable grandeur. À certains endroits, la terre fuit brusquement. Dans l’entaille profonde, un abîme apparaît strié de ranchisses d’où s’échappent le houx aux ramilles menues, l’yeuse porc-épic et l’arbousier, cet oranger du terroir cévenol, avec ses feuilles d’un vert lustré, presque brun, et ses baies, grenues et rondes, rubis et or. De droite et de gauche, étroitement encaissées, largement poissonneuses, la Drobie, la Baume, la Ligne, l’Ende, l’Auzon, l’Allune et l’Estourel, rivières dont le trajet court des massifs du Tanargue et du Bourrenc au bassin de l’Ardèche, serpentent à travers des bancs de granit, contre lesquels, en ourlets écumeux, pulvérulents et grondants, crachant en l’air des gerbes de perles blanches, viennent se briser aussi les cascatelles du ravin. Sur les mamelons rocheux, feutrés de mousse, dans les combes en pente molle, aux saillies noueuses des coteaux, sont ameulonnées des paroisses entières. Leur clocher gris émerge, comme un gros champignon au-dessus d’une touffe de bruses en fleur, et des spirales de fumée, montant, lentes et longues, vers le ciel, indiquent la place d’un village perdu sous les grands châtaigniers, ou d’un hameau dissimulé dans le riant encadrement de ses arbres à fruit.

C’est le Bas-Vivarais cévenol.

Vers le Midi sont les causses, les régions calcaires, surnommés les « Gras », sans doute par antiphrase. Ici, le paysage