Page:Boissin - Jan de la Lune, 1888.djvu/4

Cette page a été validée par deux contributeurs.
4

qu’on sonne l’Angélus, matin et soir, dans les paroisses catholiques. Cependant, il « trêve » toujours quelque « espérit » par là-haut, et je ne conseille à personne d’y monter seul, fut-ce en plein midi. »

Bah !… pourquoi non ?


De ce belvédère, unique à la région, bâti par la nature à cinq cents toises au-dessus du niveau de la mer, le regard, d’un point cardinal à un autre, embrasse toute la partie du Bas-Vivarais qui va, du piton de la Coucoulude à la Dent d’Arès, et de la Serre de Barjac aux aiguilles du Koyron.

En juin, le panorama, vu d’ensemble, est vraiment grandiose.

Au nord, s’échelonnent, dans un horizon bleu cendré, ces Coupes volcaniques dont les laves brûlaient encore vers la fin du cinquième siècle de l’ère chrétienne. Leurs colères souterraines, les secousses de leurs entrailles, leurs flammes fuligineuses causaient même une telle épouvante et produisaient, dans la vallée du Rhône, de si fréquents tremblements de terre, que Saint Mamert, évêque de Vienne, institua des processions lustrales pour obtenir du ciel la fin de pareils fléaux. On y priait Dieu d’éloigner des récoltes la foudre, la grêle et les démons du Midi. La croyance était que ces démons néfastes séjournaient dans les cratères ignivomes du pays helvien. Ceux-ci, du moins, ont des noms bien caractéristiques : Les Uffernets, la Terre-Crémade, le Suc de Loubaresse, le Puech d’Issarlès, la Vestide-du-Pal, la Gravenne de Montpezat, le Soulhol, le Chenevari, Coste-Chaude et Montbrul. On aperçoit de Brison la ligne bistrée de leurs pointes rigides, leurs phonolites basalteux, leurs taillantes calcinées. Le Mézenc est le roi de cette Cordillière vivaraise. Il la domine parallèlement aux Alpes dauphinoises dont les dentelures géantes s’étendent jusqu’au mont Ventoux, dans des lointains embrumaillés. Le long de ces volcans la terre scintille sous une étonnante symphonie de couleurs, ici trachytique et violacée, là jaune comme de l’ocre, ailleurs rouge-foncé comme du sang noir. Un peu plus loin, toujours dans la même latitude, sont les hauts-plateaux ardéchois, limitrophes du Velay. Pays de la rudesse de l’âpreté. Six mois de l’an, une neige épaisse couvre ces solitudes : le froid y croupit, jour et nuit. Mais, à la Saint-Jean, leur flore s’éveille, et, sur le velours des prairies, tondu par les vaches laitières, zébré, par des rigoles où coule une eau très pure, dans la flavescence des champs d’avoine et la blondeur des blés, sous la sombre verdure des pins autour de larges étangs endormis, ourlés de genêts d’or, la nature déploie une magnificence inouïe.

C’est le Bas-Vivarais septentrional.

Au centre, dans les environs même de la montagne de Brison, se déroulent, en soubresauts bizarrement amalgamés, les pays du « savel » (terrain triasique) et de la « lauzisse » (terrain schisteux). Sur ces deux sols, d’humus friable, le