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FIRMIN BOISSIN


JAN DE LA LUNE




LA JONÉE DE LA TOUR DE BRISON



À l’entrée du golfe montagneux formé par les culées de la chaîne du Tanargue, le voyageur aperçoit de loin un immense cône, pelé à sa cime, qui n’a ni arbre ni verdure. Sur la pointe de ce pain de sucre, écrasé du bout par des rochers quartzeux, se carrait, gigantesque, massive, de mauvais renom et portant crainte, la tour de Brison.

Il n’en reste qu’un angle, celui du côté nord.

Jadis — les vieux s’en souviennent encore — on pouvait lire au dessus de la poterne les vers suivants :

J’étais depuis longtemps captif en Terre-Sainte
Le démon à Brison en un jour m’a porté.
Je décline mon nom ; on me taxe de feinte,
On me traite d’intrus. Quelle déloyauté !
Je fais voir mon anneau ; mon lévrier j’appelle,
Et c’est le seul ami que je trouve fidèle
Démon, ce plat de noix pour payer ton transport.
 Moi, je vais dans la solitude,
 Me guérir songeant à la mort,
De ce que ton emploi m’a fait d’inquiétude.

Ces vers sont du poète Charles-Auguste de la Fare, l’ami de Chaulieu, né tout près de là, dans le château de Valgorge. Il les aurait composés, à la demande de la marquise de Beaumont-Brison. Maître Souchère, tailleur de pierre, fort habile, les grava sur le grès, afin de transmettre à la postérité cette légende dont la tradition remontait aux Croisades.

Pendant les veillées d’hiver, on la raconte ainsi :

Le sire de Brison avait pris femme et ne pensait plus à la guerre. Mais un jour le roi saint Louis eut recours à son dévouement. Brison ne barguina pas. Tout bardé de fer, il descendit vers Aigues-Mortes, sur les bords de la mer bleue. Il y trouva les croisés, monseigneur le Roi, la noblesse du pays, et s’embarqua. Pris par les païens au milieu d’une bataille, il resta sept ans enfermé dans une prison.

Au bout de sept ans, fatiguée d’attendre, sa femme Alix de Nojaret, croyant que Brison était mort, accepta la main d’un

Anthologie contemporaine.
Vol. 59 Série V. (N° II).