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SATIRE II.

1664.

À MOLIÈRE.

ACCORD DE LA RIME ET DE LA RAISON


Rare et fameux esprit, dont la fertile veine
Ignore en écrivant le travail et la peine ;
Pour qui tient Apollon tous ses trésors ouverts,
Et qui sais à quel coin se marquent les bons vers,
Dans les combats d’esprit savant maître d’escrime,
Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime.
On diroit, quand tu veux, qu’elle te vient chercher
Jamais au bout du vers on ne te voit broncher ;
Et, sans qu’un long détour t’arrête, ou t’embarrasse,
À peine as-tu parlé, qu’elle-même s’y place.
Mais moi, qu'un vain caprice, une bizarre humeur,
Pour mes péchés, je crois, fit devenir rimeur,
Dans ce rude métier où mon esprit se tue,
En vain, pour la trouver, je travaille et je sue.
Souvent j’ai beau rêver du matin jusqu’au soir ;
Quand je veux dire blanc, la quinteuse dit noir.
Si je veux d’un galant dépeindre la figure,