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satire, quelle liberté, ou plutôt quelle licence ne s’est-il point donnée dans ses ouvrages ? Ce n’étoit pas seulement des poëtes et des auteurs qu’il attaquoit, c’étoit des gens de la première qualité de Rome ; c’étoit des personnes consulaires. Cependant Scipion et Lélius ne jugèrent pas ce poëte, tout déterminé rieur qu’il étoit, indigne de leur amitié, et vraisemblablement dans les occasions ils ne lui refusèrent pas leurs conseils sur ses écrits, non plus qu’à Térence. Ils ne s’avisèrent point de prendre le parti de Lupus et de Métellus, qu’il avoit joués dans ses satires ; et ils ne crurent pas lui donner rien du leur, en lui abandonnant tous les ridicules de la république :

Num Lælius, et qui
Duxit ab oppressa meritum Carthagine nomen,
Ingenio offensi, aut læso dolnere Metello,
Famosisque Lupo cooperto versibus[1] ?

En effet Lucilius n’épargnoit ni petits ni grands ; et souvent des nobles et des patriciens il descendoit jusqu’à la lie du peuple :

Primores populi arripuit, populumque tributim[2].

On me dira que Lucilius vivoit dans une républi-

  1. Est-ce que Lélius et le héros qui mérita son glorieux nom par la ruine de Carthage se trouvèrent offensés des hardiesses de son génie ? Lui reprochèrent-ils d’avoir déchiré Métellus et accablé Lupus de vers flétrissants ? Horace, liv. II, satire I.
  2. Cependant il attaqua les grands aussi bien que le peuple dans toutes les classes. (Horace, ibid.)