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Et ton nom, du midi jusqu’à l’ourse vanté,
Ne devra qu’à leurs vers son immortalité.
Mais plutôt, sans ce nom dont la vive lumière
Donne un lustre éclatant à leur veine grossière,
Ils verroient leurs écrits, honte de l’univers,
Pourrir dans la poussière à la merci des vers.
A l’ombre de ton nom ils trouvent leur asile,
Comme on voit dans les champs un arbrisseau débile.
Qui, sans l’heureux appui qui le tient attaché,
Languiroit tristement sur la route couché.
Ce n’est pas que ma plume, injuste et téméraire,
Veuille blâmer en eux le dessein de te plaire ;
Et, parmi tant d’auteurs, je veux bien l’avouer,
Apollon en connoit qui te peuvent louer ;
Oui, je sais qu’entre ceux qui t’adressent leurs veilles,
Parmi les Pelletiers[1] on compte des Corneilles.
Mais je ne puis souffrir qu’un esprit de travers,
Qui, pour rimer des mots, pense faire des vers,
Se donne en te louant une gène inutile ;
Pour chanter un Auguste, il faut être un Virgile :
Et j’approuve les soins du monarque guerrier
Qui ne pouvoit souffrir qu’un artisan grossier
Entreprit de tracer, d’une main criminelle,
Un portrait réservé pour le pinceau d’Apelle.
Moi donc, qui connois peu Phébus et ses douceurs,
Qui suis nouveau sevré sur le mont des neuf Sœurs,
Attendant que pour toi l'âge ait mûri ma muse,
Sur de moindres sujets je l’exerce et l’amuse[2]. ;

  1. Pierre du Pelletier était l’auteur de mauvais sonnets qu’il allait colporter île maison en maison pour en recevoir le salaire.
  2. On fait un trop facile usage de ces rimes mus et amuse, et c’est à l’occasion de ce vers qu’un poëte satirique voulant à son tour critiquer Boileau, publia ce vers :

    Il s’amuse à sa muse, et sa muse l’amuse.