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tout le monde sent, et qu’il dit, mieux que tous les plus beaux discours de morale, « qu’un grand prince, lorsqu’il est une fois sur le trône, ne doit plus agir par des mouvemcns particuliers, ni avoir d’autre vue que la gloire et le bien général de son État ? »

Veut-on voir au contraire combien une pensée fausse est froide et puérile ? Je ne saurois rapporter un exemple qui le fasse mieux sentir que deux vers du poëte Théophile, dans sa tragédie intitulée Pyrame et Thisbé, lorsque cette malheureuse amante ayant ramassé le poignard encore tout sanglant dont Pyrame s’étoit tué, elle querelle ainsi ce poignard :

Ah ! voici le poignard qui du sang de son maître
S’est souillé lâchement. II en rougit, le traître !

Toutes les glaces du nord ensemble ne sont pas, à mon sens, plus froides que cette pensée. Quelle extravagance, bon Dieu ! de vouloir que la rougeur du sang dont est teint le poignard d’un homme qui vient de s’en tuer lui-même soit un effet de la honte qu’a ce poignard de l’avoir tué ! Voici encore une pensée qui n’est pas moins fausse, ni par conséquent moins froide. Elle est de Benserade , dans ses Métamorphoses en rondeaux , où , parlant du déluge envoyé par les dieux pour châtier l’insolence de l’homme, il s’exprime ainsi :

Dieu lava bien la tète à son image.

Peut-on, à propos d’une si grande chose que le déluge, dire rien de plus petit ni de plus ridicule que ce