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Seul tu peux révéler par quel art tout-puissant
Tu rendis tout à coup le chantre obéissant.
Tu sais par quel conseil rassemblant le chapitre
Lui-même, de sa main, reporta le pupitre ;
Et comment le prélat, de ses respects content,
Le fit du banc fatal enlever à l’instant.
Parle donc : c’est à toi d’éclaircir ces merveilles.
Il me suffit, pour moi, d’avoir su, par mes veilles,
Jusqu’au sixième chant pousser ma fiction,
Et fait d’un vain pupitre un second Ilion.
Finissons. Aussi bien, quelque ardeur qui m’inspire,
Quand je songe au héros qui me reste à décrire,
Qu’il faut parler de toi, mon esprit éperdu
Demeure sans parole, interdit, confondu.
DeAriste, c’est ainsi qu’en ce sénat illustre
Où Thémis, par tes soins, reprend son premier lustre,
Quand, la première fois, un athlète nouveau
Vient combattre en champ clos aux joutes du barreau,
Souvent, sans y penser, ton auguste présence
Troublant par trop d’éclat sa timide éloquence,
Le nouveau Cicéron, tremblant, décoloré,
Cherche en vain son discours sur sa langue égaré ;
En vain, pour gagner temps, dans ses transes affreuses,
Traîne d’un dernier mot les syllabes honteuses ;
Il hésite, il bégaye ; et le triste orateur
Demeure enfin muet aux yeux du spectateur[1].

  1. L’orateur demeurant muet, il n’y a plus d’auditeurs : il reste seulement des spectateurs. (B.)