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DaLà le chantre à grand bruit arrive et se fait place,
Dans le fatal instant que, d’une égale audace,
Le prélat et sa troupe, à pas tumultueux,
Descendoient du Palais l’escalier tortueux.
L’un et l’autre rival, s’arrêtant au passage,
Se mesure des yeux, s’observe, s’envisage ;
Une égale fureur anime leurs esprits :
Tels deux fougueux taureaux[1], de jalousie épris,
Auprès d’une génisse au front large et superbe,
Oubliant tous les jours le pâturage et l’herbe,
À l’aspect l’un de l’autre embrasés, furieux,
Déjà le front baissé, se menacent des yeux.
Mais Évrard, en passant coudoyé par Boirude,
Ne sait point contenir son aigre inquiétude :
Il entre chez Barbin, et, d’un bras irrité,
Saisissant du Cyrus un volume écarté,
Il lance au sacristain le tome épouvantable.
Boirude fuit le coup : le volume effroyable
Lui rase le visage, et, droit dans l’estomac,
Va frapper en sifflant l’infortuné Sidrac :
Le vieillard, accablé de l’horrible Artamène[2],
Tombe aux pieds du prélat, sans pouls et sans haleine.
Sa troupe le croit mort, et chacun empressé
Se croit frappé du coup dont il le voit blessé.
Aussitôt contre Évrard vingt champions s’élancent ;
Pour soutenir leur choc les chanoines s’avancent.
La Discorde triomphe, et du combat fatal
Par un cri donne en l’air l’effroyable signal.
PaChez le libraire absent tout entre, tout se mêle,
Les livres sur Évrard fondent comme la grêle,
Qui, dans un grand jardin, à coups impétueux,

  1. Virgile, Georg., livre III, vers 215
  2. Artamène, ou le grand Cyrus, roman de Mlle de Scudéri.