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on parla d’autre chose, et on se mit à rire de la manière dont on s’étoit échauffé sur une question aussi peu importante que celle-là. On moralisa fort sur la folie des hommes qui passent presque toute leur vie à faire sérieusement de très-grandes bagatelles, et qui se font souvent une affaire considérable d’une chose indifférente.

À propos de cela un provincial raconta un démêlé fameux, qui étoit arrivé autrefois dans une petite église de sa province, entre le trésorier et le chantre, qui sont les deux premières dignités de cette église, pour savoir si un lutrin seroit placé à un endroit ou à un autre. La chose fut trouvée plaisante. Sur cela un des savans de l’assemblée, qui ne pouvoit pas oublier sitôt la dispute, me demanda si moi qui voulois si peu de matière pour un poëme héroïque, j’entreprendrois d’en faire un sur un démêlé aussi peu chargé d’incidens que celui de cette église. J’eus plutôt dit, pourquoi non ? que je n’eus fait réflexion sur ce qu’il me demandoit. Cela fit faire un éclat de rire à la compagnie, et je ne pus m’empêcher de rire comme les autres, ne pensant pas en effet moi-même que je dusse jamais me mettre en état de tenir parole. Néanmoins le soir me trouvant de loisir, je rêvai à la chose, et ayant imaginé en général la plaisanterie que le lecteur va voir, j’en fis vingt vers que je montrai à mes amis. Ce commencement les réjouit assez. Le plaisir que je vis qu’ils y prenoient m’en fit faire encore vingt autres : ainsi de vingt vers en vingt vers, j’ai poussé enfin