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MoMais peut-être, enivré des vapeurs de ma muse,
Moi-même en ma faveur, Seignelay, je m’abuse.
Cessons de nous flatter. Il n’est esprit si droit
Qui ne soit imposteur et faux par quelque endroit :
Sans cesse on prend le masque, et, quittant la nature,
On craint de se montrer sous sa propre figure.
Par là le plus sincère assez souvent déplaît.
Rarement un esprit ose être ce qu’il est.
Vois-tu cet importun que tout le monde évite ;
Cet homme à toujours fuir, qui jamais ne vous quitte ?
Il n’est pas sans esprit ; mais, né triste et pesant,
Il veut être folâtre, évaporé, plaisant ;
Il s’est fait de sa joie une loi nécessaire,
Et ne déplaît enfin que pour vouloir trop plaire.
La simplicité plaît sans étude et sans art.
Tout charme en un enfant dont la langue sans fard,
À peine du filet encor débarrassée,
Sait d’un air innocent bégayer sa pensée.
Le faux est toujours fade, ennuyeux, languissant ;
Mais la nature est vraie, et d’abord on la sent :
C’est elle seule en tout qu’on admire et qu’on aime.
Un esprit né chagrin[1] plaît par son chagrin même.
Chacun pris dans son air est agréable en soi :
Ce n’est que l’air d’autrui qui peut déplaire en moi.
CeCe marquis[2] étoit né doux, commode, agréable ;
On vantoit en tous lieux son ignorance aimable.
Mais, depuis quelques mois devenu grand docteur,
Il a pris un faux air, une sotte hauteur ;
Il ne veut plus parler que de rime et de prose ;
Des auteurs décriés il prend en main la cause ;

  1. Le duc de Montausier.
  2. Le comte de Fresque qui avait, dit Brossette, une ignorance aimable, et disait agréablement des incongruités.