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BOILEAU.

D’un tribut de douleur paya son attentat.
Il fallut qu’au travail son corps rendu docile
Forçât la terre avare à devenir fertile.
Le chardon importun hérissa les guérets,
Le serpent venimeux rampa dans les forêts,
La canicule en feu désola les campagnes,
L’aquilon en fureur gronda sur les montagnes.
Alors, pour se couvrir durant l’âpre saison,
Il fallut aux brebis dérober leur toison.
La peste en même temps, la guerre et la famine,
Des malheureux humains jurèrent la ruine :
Mais aucun de ces maux n’égala les rigueurs
Que la mauvaise honte exerça dans les cœurs.
De ce nid à l’instant sortirent tous les vices.
L’avare, des premiers en proie à ses caprices,
Dans un infâme gain mettant l’honnêteté,
Pour toute honte alors compta la pauvreté :
L’honneur et la vertu n’osèrent plus paroître[1] ;
La piété chercha les déserts et le cloître.
Depuis on n’a point vu de cœur si détaché
Qui par quelque lien ne tint à ce péché.
Triste et funeste effet du premier de nos crimes !
Moi-même, Arnauld, ici, qui te prêche en ces rimes,
Plus qu’aucun des mortels par la honte abattu,
En vain j’arme contre elle une foible vertu.
Ainsi toujours douteux, chancelant et volage,
À peine du limon, où le vice m’engage,
J’arrache un pied timide, et sors en m’agitant,
Que l’autre m’y reporte et s’embourbe à l’instant.
Car si, comme aujourd’hui, quelque rayon de zèle
Allume dans mon cœur une clarté nouvelle,

  1. Ces deux vers ne riment plus qu’aux yeux ; au temps de Boileau la prononciation en faisait une rime régulière.