Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
EPITRE I.

Que de savans plaideurs désormais inutiles !
Qui ne sent point l’effet de tes soins généreux ?
L’univers sous ton règne a-t-il des malheureux ?
Est-il quelque vertu, dans les glaces de l’Ourse,
Ni dans ces lieux brûlés où le jour prend sa source,
Dont la triste indigence ose encore approcher,
Et qu’en foule tes dons d’abord n’aillent chercher ?
C’est par toi qu’on va voir les Muses enrichies
De leur longue disette à jamais affranchies.
Grand roi, poursuis toujours, assure leur repos.
Sans elles un héros n’est pas longtemps héros :
Bientôt, quoi qu’il ait fait, la mort, d’une ombre noire,
Enveloppe avec lui son nom et son histoire.
En vain, pour s’exempter de l’oubli du cercueil,
Achille mit vingt fois tout Ilion en deuil ;
En vain, malgré les vents, aux bords de l’Hespérie,
Énée enfin porta ses dieux et sa patrie :
Sans le secours des vers, leurs noms tant publiés
Seroient depuis mille ans avec eux oubliés.
Non, à quelques hauts faits que ton destin t’appelle,
Sans le secours soigneux d’une Muse fidèle
Pour t’immortaliser tu fais de vains efforts.
Apollon te la doit : ouvre-lui tes trésors.
En poëtes fameux rends nos climats fertiles :
Un Auguste aisément peut faire des Virgiles.
Que d’illustres témoins de ta vaste bonté
Vont pour toi déposer à la postérité !
VoPour moi qui, sur ton nom déjà brûlant d’écrire,
Sens au bout de ma plume expirer la satire,
Je n’ose de mes vers vanter ici le prix.
Toutefois si quelqu’un de mes foibles écrits
Des ans injurieux peut éviter l’outrage,
Peut-être pour ta gloire aura-t-il son usage ;
Et comme tes exploits, étonnant les lecteurs,