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Avant que la raison, s’expliquant par la voix,
Eût instruit les humains, eût enseigné des lois,
Tous les hommes suivoient la grossière nature,
Dispersés dans les bois couroient à la pâture :
La force tenoit lieu de droit et d’équité ;
Le meurtre s’exerçoit avec impunité.
Mais du discours enfin l’harmonieuse adresse
De ces sauvages mœurs adoucit la rudesse,
Rassembla les humains dans les forêts épars,
Enferma les cités de murs et de remparts,
De l’aspect du supplice effraya l’insolence,
Et sous l’appui des lois mit la foible innocence.
Cet ordre fut, dit-on, le fruit des premiers vers.
De là sont nés ces bruits reçus dans l’univers,
Qu’aux accens dont Orphée emplit les monts de Thrace,
Les tigres amollis dépouilloient leur audace ;
Qu’aux accords d’Amphion les pierres se mouvoient,
Et sur les murs thébains en ordre s’élevoient.
L’harmonie en naissant produisit ces miracles.
Depuis, le ciel en vers fit parler les oracles ;
Du sein d’un prêtre ému d’une divine horreur,
Apollon par des vers exhala sa fureur.
Bientôt ressuscitant les héros des vieux âges,
Homère aux grands exploits anima les courages.
Hésiode à son tour par d’utiles leçons,
Des champs trop paresseux vint hâter les moissons.
En mille écrits fameux la sagesse tracée
Fut, à l’aide des vers, aux mortels annoncée ;
Et partout des esprits ses préceptes vainqueurs,
Introduits par l’oreille, entrèrent dans les cœurs.
Pour tant d’heureux bienfaits, les Muses révérées
Furent d’un juste encens dans la Grèce honorées ;
Et leur art, attirant le culte des mortels,
À sa gloire en cent lieux vit dresser des autels.