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S’éteint à chaque pas faute de nourriture.
Mais en vain le public, prompt à le mépriser,
De son mérite faux le veut désabuser ;
Lui-même, applaudissant à son maigre génie,
Se donne par ses mains l’encens qu’on lui dénie :
Virgile, au prix de lui, n’a point d’invention ;
Homère n’entend point la noble fiction.
Si contre cet arrêt le siècle se rebelle,
À la postérité d’abord il en appelle.
À Mais attendant qu’ici le bons sens de retour
Ramène triomphans ses ouvrages au jour,
Leurs tas, au magasin, cachés à la lumière,
Combattent tristement les vers et la poussière.
Laissons-les donc entre eux s’escrimer en repos ;
Et, sans nous égarer, suivons notre propos.
EtDes succès fortunés du spectacle tragique
Dans Athènes naquit la comédie antique.
Là le Grec, né moqueur, par mille jeux plaisans
Distilla le venin de ses traits médisans.
Aux accès insolens d’une bouffonne joie
La sagesse, l’esprit, l’honneur furent en proie.
On vit par le public un poëte avoué
S’enrichir aux dépens du mérite joué ;
Et Socrate par lui, dans un chœur de nuées[1],
D’un vil amas de peuple attirer les huées.
Enfin de la licence on arrêta le cours :
Le magistrat des lois emprunta le secours,
Et, rendant par édit les poëtes plus sages,
Défendit de marquer les noms et les visages.
Le théâtre perdit son antique fureur ;
La comédie apprit à rire sans aigreur,

  1. Les Nuées, comédie d’Aristophane, qui eurent un médiocre succès et précédèrent de près de vingt ans la mort de Socrate.