Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On diroit que Ronsard, sur ses pipeaux rustiques,
Vient encor fredonner ses idylles gothiques,
Et changer, sans respect de l’oreille et du son,
Lycidas en Pierrot, et Philis en Toinon[1].
LyEntre ces deux excès la route est difficile.
Suivez, pour la trouver, Théocrite et Virgile[2] :
Que leurs tendres écrits, par les Grâces dictés,
Ne quittent point vos mains, jour et nuit feuilletés.
Seuls, dans leurs doctes vers, ils pourront vous apprendre
Par quel art sans bassesse un auteur peut descendre ;
Chanter Flore, les champs, Pomone, les vergers ;
Au combat de la flûte animer deux bergers ;
Des plaisirs de l’amour vanter la douce amorce ;
Changer Narcisse en fleur, couvrir Daphné d’écorce,
Et par quel art encor l’églogue quelquefois
Rend dignes d’un consul la campagne et les bois
Telle est de ce poëme et la force et la grâce.
TeD’un ton un peu plus haut, mais pourtant sans audace,
La plaintive élégie, en longs habits de deuil,
Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil.
Elle peint des amans la joie et la tristesse :
Flatte, menace, irrite, apaise une maîtresse.
Mais, pour bien exprimer ces caprices heureux,
C’est peu d’être poëte, il faut être amoureux.
C’Je hais ces vains auteurs dont la muse forcée
M’entretient de ses feux, toujours froide et glacée ;
Qui s’affligent par art, et, fous de sens rassis,
S’érigent pour rimer en amoureux transis.
Leurs transports les plus doux ne sont que phrases vaines :
Ils ne savent jamais que se charger de chaînes,
Que bénir leur martyre, adorer leur prison,

  1. Ronsard dans ses églogues appelait Henri II, Henriot, Marguerite, Margot.
  2. Théocrite et Virgile sont les maitres du genre bucolique.