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BOILEAU.

Arioste[1], Marot[2], Boccace[3], Rabelais[4],
Et tous ces vieux recueils de satires naïves[5],
des malices du sexe immortelles archives.
Mais, tout bien balancé, j’ai pourtant reconnu
Que de ces contes vains le monde retenu
N’en a pas de l’hymen moins vu fleurir l’usage ;
Que sous ce joug moqué tout à la fin s’engage ;
Qu’à ce commun filet les railleurs mêmes pris
Ont été très-souvent de commodes maris ;
Et que, pour être heureux sous ce joug salutaire,
Tout dépend, en un mot, du bon choix qu’on sait faire.
Enfin, il faut ici parler de bonne loi :
Je vieillis, et ne puis regarder sans effroi
Ces neveux affamés dont l’importun visage
De mon bien à mes yeux fait déjà le partage.
Je crois déjà les voir, au moment annoncé
Qu’à la fin sans retour leur cher oncle est passé,
Sur quelques pleurs forcés qu’ils auront soin qu’on voie,
Se faire consoler du sujet de leur joie.
Je me fais un plaisir, à ne vous rien celer,
De pouvoir, moi vivant, dans peu les désoler,
Et, trompant un espoir pour eux si plein de charmes,
Arracher de leurs yeux de véritables larmes.
Vous dirai-je encor plus ? Soit foiblesse ou raison,
Je suis las de me voir le soir en ma maison

  1. Un des plus célèbres poëtes italiens, auteur du Roland furieux.
  2. Clément Marot célébra en vers les princes et les princesses de la cour de François Ier. Mais plus tard, ayant embrassé la religion réformée, il fut exilé de France et mourut à Turin dans l’indigence.
  3. Poëte italien auteur du Décaméron, recueil de contes où La Fontaine a puisé le sujet de la plupart des siens.
  4. Auteur de Pantagruel et de Gargantua. Il se fit cordelier à Fontenay-le-Comte, ensuite médecin à Montpellier, et devint dans les derniers temps curé de Meudon.
  5. Les Contes de la Reine de Navare. (B.)