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BOILEAU.

Et souvent de douleur se pâmer par avance !
Car tu ne seras point de ces jaloux affreux,
Habiles à se rendre inquiets, malheureux,
Qui, tandis qu’une épouse à leurs yeux se désole,
Pensent toujours qu’un autre en secret la console.
Mais quoi, je vois déjà que ce discours t’aigrit.
Charmé de Juvénal[1], et plein de son esprit,
Venez-vous, diras-tu, dans une pièce outrée,
Comme lui nous chanter que, dès le temps de Rhée[2],
La chasteté déjà, la rougeur sur le front,
Avoit chez les humains reçu plus d’un affront ;
Qu’on vit avec le fer naître les injustices,
L’impiété, l’orgueil et tous les autres vices :
Mais que la bonne foi dans l’amour conjugal
N’alla point jusqu’au temps du troisième métal ?
Ces mots ont dans sa bouche une emphase admirable ;
Mais je vous dirai, moi, sans alléguer la fable,
Que si sous Adam même, et loin avant Noé,
Le vice audacieux, des hommes avoué,
À la triste innocence en tous lieux fit la guerre,
Il demeura pourtant de l’honneur sur la terre ;
Qu’aux temps les plus féconds en Phrynés[3], en Laïs[4],
Plus d’une Pénélope honora son pays ;
Et que, même aujourd’hui, sur ce fameux modèle,
On peut trouver encor quelque femme fidèle.
OnSans doute, et dans Paris, si je sais bien compter,
Il en est jusqu’à trois[5] que je pourrois citer.
Ton épouse dans peu sera la quatrième :

  1. Juvénal a fait une satire contre les femmes qui est son plus bel
    ouvrage. (B.)
  2. Paroles du commencement de la satire de Juvénal. (B.)
  3. Phryné, courtisane d’Athènes. (B.)
  4. Laïs, courtisane de Corinthe. (B.)
  5. Ceci est dit figurément. (B.)